Introduction
L’Église de par sa nature est missionnaire. Elle a reçu cette mission de Jésus-Christ : être son témoin dans le monde entier, aux quatre points cardinaux, Nord, Sud, Est, Ouest. Quand on parle de la limite Nord-Sud, on fait référence au Rapport Nord-Sud : un programme de survie, publié en 1980 par Willy Brandt, chancelier allemand de 1969 à 1974. Ce concept entend par « Nord », les pays de l’hémisphère nord, soit ceux de la Triade : Asie orientale, Europe occidentale et Amérique du Nord, en plus de quelques nouveaux pays industrialisés; le « Sud » indique les contrées de l’hémisphère sud, soit essentiellement les pays en voie de développement. Ceci étant dit, cette limite est contestable et de plus en plus critiquable. Cet article ne se veut cependant pas une réflexion historico-géographique ou économique, mais un questionnement sur la présence de confrères et de consœurs, prêtres, religieux, religieuses, venus justement de ces pays en voie de développement, exercer leur ministère au Nord. Une interrogation lourde de sens s’impose : pouvons-nous les considérer comme des bouche-trous? Cela veut dire des personnes dont la présence n’est requise que pour combler un vide? Pour y voir plus clair, nous reviendrons sur le mouvement du Nord vers le Sud des membres des communautés religieuses et diocésaines, puis regarderons de plus près celui du Sud vers le Nord. Nous conclurons avec une courte réflexion sur l’universalité de l’Église et l’amour.
Le mouvement du Nord vers le Sud
Sans vouloir s’attarder à l’histoire de l’évangélisation des pays du Sud, il convient de dire que dès l’ère de la colonisation, l’Église catholique fut présente dans les pays du Sud. Il y a eu des mouvements de prêtres, de religieux et de religieuses issus de l’Église catholique du Nord vers les pays du Sud. On se rappellera ces missionnaires qui ont quitté leurs pays « développés » pour aller témoigner Jésus-Christ dans les pays « pauvres » du Sud. Arrivés dans ces milieux de mission, ils ont, généralement, été bien accueillis par les habitants bien que certains aient dû y faire le sacrifice de leur vie. Plusieurs ont profité de leur passage missionnaire pour étudier et comprendre les cultures des peuples où ils se rendaient afin de mieux véhiculer le message de l’évangile. Pour les uns, ils se sont intégrés aux sociétés d’accueil et cela a été un succès. Pour d’autres, l’expérience fut moins satisfaisante. C’est ce que l’ethnographe Todorov a nommé les trois axes distincts :
- L’axe axiologique qui réfère à la représentation et au jugement de valeur sur l’autre. Ce dernier peut être « bon ou mauvais, je l’aime ou je ne l’aime pas » (Cité par Agbobli & Hsab, 2011, p. 21). Il est soit égal soit inférieur à moi.
- L’axe praxéologique qui réfère aux comportements « de rapprochement ou d’éloignement par rapport à l’autre » (Idem). D’où, l’indifférence et la neutralité.
- L’axe épistémologique qui réfère à la connaissance ou à l’ignorance de l’autre.
Le mouvement du Sud vers le Nord
Depuis un certain temps, l’Église catholique répandue dans l’hémisphère nord vit un défi de taille à cause du manque de vocations religieuses. Pour pallier cette crise des vocations, les autorités ecclésiastiques (communautés religieuses et diocèses) de ces pays nantis du Nord font de plus en plus appel à leurs confrères et consœurs ainsi qu’à des prêtres appelés en fidei donum (en don de foi) des pays du Sud. Leur statut, dans ces nouveaux pays d’accueil du Nord varie selon leur état dans l’Église. Dans le cas des membres des communautés religieuses, la plupart ne dispose d’aucun contrat les liant quant au nombre d’années qu’ils devront passer dans leur communauté d’accueil. Ils se sentent chez eux et bénéficient du même traitement que les autres membres de la communauté locale, car ils sont liés par les constitutions de leur congrégation qui font automatiquement d’eux des égaux nonobstant leur pays de provenance. Pour ce qui est des prêtres diocésains, la situation est différente : ils disposent d’une sorte de contrat de trois ans, renouvelable si possible, dans le cadre d’un accord entre leurs évêques d’origine et ceux des diocèses d’accueil. Enfin, pour les prêtres-étudiants dans des instituts catholiques ou universités, ils exercent leur ministère à mi-temps dans les paroisses voisines. Un dernier groupe, qui séjourne au nord pour des raisons médicales, collabore, dans la mesure du possible, au service des diocèses où ils se trouvent.
Dans ce mouvement du Sud vers le Nord, nous constatons que le choc culturel est immense et cause des dommages dans la vie des prêtres, religieux et religieuses. Certains sont acceptés par les fidèles ou leurs confrères et consœurs et continuent à former communauté avec eux; d’autres sont rejetés. Dans le cas des communautés religieuses, il arrive que, plutôt que d’aider la personne ainsi rejetée, les communautés optent pour un changement de pays de mission ou le renvoi dans le pays d’origine. Il arrive également, comme alternative, qu’on offre au religieux la possibilité de poursuivre ses études prétextant une formation pour assumer d’autres responsabilités, lors de son retour au pays.
Conclusion
Nous voici au terme de notre réflexion sur l’expression « bouche-trou » dans la relation Nord-Sud de notre Église catholique. L’Église est universelle et cela est vrai peu importe où l’on se trouve. Ses membres, entre autres, les prêtres, les religieux et les religieuses, ne peuvent ignorer l’approche interculturelle. Les confrères, prêtres, religieux, religieuses du Sud ne sont pas des « bouche-trous », ni des moyens, et encore moins des objets, au service du Nord, mais plutôt des compagnons ou compagnes de route dans le but de répondre à la même mission, celle de témoigner de Jésus-Christ. Baser son approche de la vie avec cet autre, venu du Sud, sur des syllogismes serait une faute impardonnable. Pourquoi traiter cet autre, venu du Sud, de bouche-trou? Si telle est la pensée qui anime les cœurs de certains, cela veut dire qu’ils n’ont pas encore atteint la maturité nécessaire pour pratiquer l’amour du prochain dont nous parlent les écritures, en particulier l’apôtre Mathieu (25, 35-46) : « Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez accueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi. (…) » Comment peut-on prêcher l’amour aux autres si l’on ne peut pas aimer ses propres compagnons ou compagnes de route issus d’ailleurs? Pouvons-nous parler d’internationalité des communautés religieuses ou d’universalité de notre Église catholique lorsque les uns sont considérés une menace, voire un danger, pour les autres? Profitons de nos richesses respectives quel que soit notre lieu d’origine, pour construire des communautés chrétiennes ouvertes et finalement un monde meilleur où toutes et tous, du Nord comme du Sud, s’épanouiront ensemble.
Bibliographie
La Bible de Jérusalem
Agbobli, C. & Hsab, G., (dir. 2011). Communication internationale et communication interculturelle. Regards épistémologiques et espaces de pratique, Montréal, Presses de l’Université du Québec.
Todorov, T. (1982). La conquête de l’Amérique : la question de l’autre, Paris, Seuil.
Todorov, T. (1989). Nous et les autres : la réflexion française sur la diversité humaine, Paris, Seuil.