"Passion pour le Christ passion pour l'humanité"

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INTRODUCTION


I . Au début du XXIème siècle.

1. Jésus Christ, le Seigneur ressuscité, le Médiateur de la Nouvelle Alliance et du Royaume est notre contemporain. Il n’appartient pas au passé. Et notre forme de vie chrétienne, qu’est La vie religieuse, non plus. Elle est de notre temps. Actuellement, dans divers pays, la vie religieuse est marquée par le vieillissement tandis que, dans d’autres, sa moyenne d’âge est jeune. Aux formes déjà millénaires de vie monastique et religieuse se sont ajoutées, ces derniers temps, de nouvelles formes. Certains charismes, nés il y a des siècles, ont pris un nouveau visage et apparaissent pleins de vitalité. Depuis le Concile Vatican II, la vie consacrée a reçu une impulsion forte et réalisé d’importantes transformations. Mais le contexte socioculturel religieux actuel exige encore beaucoup d’autres ouvertures décisives. Toutefois, au milieu de tant nouveautés, notre forme de vie garde sa valeur et son actualité et il est urgent de la vivre avec intensité et d’une manière significative pour nous-mêmes et pour les autres. Les consacrés et les consacrées, vivons des jours de grâce et d’épreuve.

2. La passion du Christ pour l’humanité, criante dans toute sa vie et d’une manière singulière à la Croix, n’est pas non plus un fait du passé. Elle se prolonge tout au long de l’histoire ; et, dans cette histoire, sont inscrits des signes clairs de sa fécondité. Aujourd’hui, au début du XXIème siècle, le Christ partage les croix de millions de personnes de partout, à travers le monde. Il nous adresse à nouveau son appel exigeant, nous stimulant à le suivre avec ardeur et, touchés par sa compassion, à partager sa passion pour l’être humain.


II. Le Congrès

3. Nous voulons être dociles à la voix de Dieu, aux enseignements de notre Maître et aux impulsions de l’Esprit qui ne cesse d’ouvrir devant nous de nouveaux horizons et nous conduit à de nouvelles étapes d’évangélisation. Nous voulons être dociles aux interpellations de l’Église, attentifs aux besoins actuels de notre société et évidemment à ceux de la Vie consacrée. C’est la raison pour laquelle, représentants de la vie consacrée mondiale, nous nous réunissons en Congrès. Nous voulons écouter ces voix d’un point de vue interculturel, avec notre sensibilité d’hommes et de femmes ; avec l’expérience acquise à travers les divers services de la vie consacrée en tant que Supérieures et Supérieurs généraux, Présidents de Conférences nationales ou continentales, Théologiens et Théologiennes, Directeurs de Centres de réflexion théologique, éditeurs de revue sur la vie consacrée. Les jeunes religieuses, qui sont en syntonie avec les valeurs culturelles actuelles, par leur enthousiasme et leur fidélité apporteront une excellente contribution à notre réflexion. Tous, nous voulons continuer la réflexion et le discernement entrepris à l’occasion du Synode de la Vie Consacrée et découvrir ainsi “la nouveauté” que l’Esprit Saint est en train de susciter parmi nous (Is 43, 18-19) en ce début du troisième millénaire (VC 13) ; et, à partir de là, proposer des orientations et des moyens pratiques, raviver notre espérance, nous engager avec un nouvel élan et avancer jusqu’où l’Esprit nous conduit.


a) Objectif

4. L’objectif central de notre Congrès est de discerner ensemble, dans une vue d’ensemble globale, ce que l’Esprit de Dieu est en train de faire surgir entre nous ; comprendre jusqu’où et comment répondre aux défis de notre temps et construire ainsi le Royaume de Dieu “pour le bien de tous” (1 Cor 12,7).

5. Le développement de cet objectif se fera par degrés :

 Découvrir et discerner la validité de la nouveauté qui est en train de naître parmi nous .

 Accueillir et promouvoir cette nouveauté comme un don de Dieu et une tâche à accomplir.

 Approfondir la spiritualité et la mission partagées avec le peuple de Dieu de même que la communion et la solidarité entre la vie religieuse féminine et masculine.

 Nous engager à partager la passion pour le Christ et pour l’humanité dans de nouveaux contextes . Il y a urgence pour la Vie consacrée de cultiver et de privilégier “la passion” pour Dieu et pour l’être humain (VC 84).

 Etre la voix de la vie consacrée pour la vie consacrée.


b) Méthode et esprit du Congrès

6. Cet objectif est concrétisé dans ce document de base (Instrumentum Laboris) qui est l’expression d’un travail sérieux et graduel mené en commun. Dans un premier temps, l’annonce du Congrès était accompagné de quatre questions destinées à révéler comment on se perçoit, ce qui se vit et quels projets nous habitent : quels sont les signes de vitalité, les défis, les blocages ou les rêves. C’est ainsi que le “Visioning Group” a fait une analyse des réponses afin de bien centrer le thème du Congrès, son inspiration, ses objectifs et son processus. Aujourd’hui, “la Commission Théologique” offre cet “Instrumentum Laboris” qui - dans la fidélité aux réponses reçues - présente une synthèse donnant les lignes du futur telles qu’elles sont pressenties. Dans une seconde phase, cet “Instrumentum laboris” est envoyé à tous les participants aux Congrès pour susciter des réactions qui seront utilisées dans l’élaboration de la rédaction finale. Le Congrès lui-même constituera la troisième phase. Son but est d’approfondir l’Intrumentum Laboris à partir des divers rapports, débats et propositions.

7. Le Document de base ici proposé n’a pas d’autre objectif que d’orienter l’élaboration des propositions ; qui seront le fruit du discernement global mis en œuvre durant le Congrès proprement dit. Dans cet Instrumentum Laboris, nous présentons les éléments, les domaines ou les aspects propres à centrer et à bien orienter le travail.

8. Nous souhaitons que “l’esprit” du Congrès qui a inspiré tous les “organisateurs” puisse se trouver exprimé dans les verbes et les attitudes dynamiques qui ont été au cœur de l’élaboration de ce document : Accueillir, Se laisser transformer, Commencer une nouvelle praxis et Célébrer.

 Accueillir : cela implique voir, découvrir, écouter ce que l’Esprit nous propose et, pour des raisons évangéliques, nous laisser émouvoir .

 Se laisser transformer : ce n’est possible que si nous demeurons ouverts pour savoir et discerner les esprits qui nous inspirent.

 Commencer une nouvelle praxis : cela aura lieu si nous sommes prêts à prendre les décisions qui s’imposent, à faire des ouvertures propres à transformer, restructurer et relancer notre praxis concrète. Une double exigence est inhérente à ces ouvertures : celle de la conversion personnelle et communautaire et l’évolution du milieu et des structures.

 Célébrer : une attitude authentique de célébration ne peut manquer pendant le Congrès. Cela requiert la capacité de symboliser, contempler, savourer la Parole de Dieu, demander pardon, intercéder, rendre grâce et louer.


c) L’icône : la Samaritaine et le Samaritain

9. Le Congrès, qui a pour thème “Passion pour Christ, Passion pour l’humanité”, trouve l’inspiration pour son discernement et ses propositions dans une double icône évangélique : la Samaritaine et le Samaritain. La tradition ne l’a pas communément appliquée à la vie consacrée, mais elle peut susciter l’inspiration dont celle-ci a besoin en ce moment.

10. Sur son chemin une femme samaritaine rencontre Jésus. Dans son cœur, elle a ressenti l’attirance de sa personne, de son mystère, de son message. Pour Lui, elle abandonne sa cruche, c’est à dire son ancienne vie et devient semeuse et témoin de l’Évangile (Jn 4, 5 42). Sur son chemin, il rencontra un homme, un samaritain, un autre être humain, dénudé, à demi-mort, victime de la violence. Il sentit son cœur s’émouvoir de compassion. Pour lui, il quitta son chemin, s’approcha et le soigna avec beaucoup d’attention et de générosité (Lc 10, 29-37). Samaritaine et Samaritain, sont des icônes du chemin par lequel, aujourd’hui – en ce début de XXIème siècle - l’Esprit conduit la vie consacrée : icônes de l’amour et de la compassion qu’il suscite dans son cœur. Cette double icône a eu un puissant pouvoir d’inspiration tout au long de l’histoire de la spiritualité et aujourd’hui elle répand son énergie transformante sur la vie religieuse. La Samaritaine et le Samaritain appartiennent à la catégorie des pécheurs ; mais en eux, la grâce et la disponibilité pour le bien ne manquent pas. Nous consacrés, nous situons à leurs côtés, et nous nous sentons interpellés par leur manière d’être, par leur désir d’eau vive et par leur compassion pour les blessés rencontrés sur le chemin.

11. Nous sommes en train de vivre un moment crucial de notre histoire. Nous sommes monde, église et vie consacrée qui, confrontés à l’exubérance de la vie, faisons l’expérience de terribles signes de mort. L’Esprit nous conduit aux sources de la vie et, en même temps, à ces sœurs et à ces frères qui, prostrés et moribonds, gisent sur le chemin.


d) La perspective : discerner pour refonder

12. Optique de ce Document : La vie Consacrée nous la comprenons comme un don de l’Esprit, reçu en Église pour le monde. L’Église est mère et maîtresse de vie, elle est champ d’action et mission pour les consacrés (EN 8 et 24). Dans le Peuple de Dieu, l’Église se fait service pour l’avènement du Royaume déjà présent dans un monde concret. Il nous faut perpétuer notre effort pour que ce monde et, en lui, la nouvelle culture, continuent à avoir un visage humain et que l’Église soit “sacrement d’humanisation”. Pour que cela devienne réalité, la Vie consacrée doit être radicalement revitalisée afin d’acquérir une nouvelle physionomie. Tout, dans ce document, est orienté vers le discernement du nouveau processus à entreprendre auquel certaines religieuses et religieux et quelques communautés ou Instituts se sont déjà essayés. Ce discernement sera continué durant le temps de préparation du Congrès et approfondi durant le congrès lui-même et, évidemment, partagé avec l’ensemble de la Vie Consacrée. En cela, nous ne pouvons nous passer des apports de la théologie de la Vie Consacrée, de l’Ecclésiologie ou de l’Anthropologie ; mais sans entrer dans les détails.


e) Le logo

13. Le message de ce document se trouve résumé avec force et beauté dans le logo qui sert de page titre à tout le document. Ce dessin est constitué de points. Ceux dont nous formons le monde, l’humanité, le Royaume de Dieu. Les religieuses et les religieux constituent un million de ces points. Dans tout l’ensemble du dessin, il y a un mouvement de vagues qui vont et viennent. Elles vont vers le centre, jusqu’à l’essentiel, jusqu’à l’amour qui l’enveloppe tout entier. Elles vont aussi vers l’extérieur, vers le monde qui représente le corps du Christ, le peuple de Dieu. Ce double mouvement sourd de la croix, signe de vie et d’espérance. Tout le dessin évoque le cœur du religieux et de la religieuse, là , où la passion pour Christ et pour l’humanité se fondent dans un même dynamisme. La couleur, rouge et bleu intenses, rappelle la force de la grâce du Christ qui la pénètre tout entière de tendresse et de vigueur. A cette force, la vie religieuse veut participer. De ce symbole significatif de la vie religieuse aujourd’hui ne pouvait être absents l’appel au zèle, à l’ardeur et l’appel à la mission et à la conversion. La Croix glorieuse du Christ nous conduit jusqu’au oui, elle nous transforme et nous envoie.



PREMIÈRE PARTIE



LA RÉALITÉ QUI NOUS INTERPELLE

“Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était assis sur la margelle du puits” (Jn 4,6)


“Le voyant, il fit un détour…. Le voyant, il fut ému de compassion” (Lc 10, 31-33).


14. Nous découvrons la volonté de Dieu, l’action innovatrice de l’Esprit, l’orientation que doit prendre notre cheminement, la présence de Dieu et son dessein sur nous, dans les signes des temps et les lieux, comme Jésus nous l’a enseigné. Les apports de ceux qui ont répondu au questionnaire pour le Congrès nous ont aidés à trouver des réponses aux questionnements qui sont les nôtres et à ébaucher le profil de la vie consacrée en notre temps.

15. Si nous observons la réalité dans laquelle nous sommes immergés, les questions qui s’imposent à nous en cette heure de l’histoire, dans ce monde et dans cette Église, sont diverses :

Quelle vie consacrée l’Esprit suscite-t-il aujourd’hui ?

Comment l’identifier, la décrire, la proposer ?

Comment nous initier à cette vie, que concevoir pour elle ?

Comment décrire le type de leadership qu’elle exige ?

Comment diagnostiquer ce qui bloque son existence ?

A quel “puits”, à quels chemins conduit cette vie consacrée qui se fait jour ?

Quel nom donner à ce processus dans lequel nous sommes impliqués ?


16. Suit la présentation des défis et des occasions de grâce que nous avons pu détecter, mais aussi des blocages qui rendent impossibles ou difficiles la réalisation de nos rêves et d’une manière plus concrète, notre passion pour Christ et pour l’humanité. Critère important que les quatre grandes fidélités rappelées par le document Religieux et promotion humaine : “Fidélité à l’homme et à notre temps, fidélité au Christ et à l’évangile, fidélité à l’Église et à sa mission dans le monde, fidélité à la vie religieuse et au charisme propre à l’Institut” (RPH, 1980, nn. 13-31). Serons-nous fidèles à la réalité actuelle ? Notre fidélité le sera-t-elle aux grandes réalités spirituelles et ecclésiales ? Les deux perspectives, l’horizontale et la verticale, s’entrelacent et se fécondent mutuellement . Chaque réalité, chaque situation, nous aurons à cœur de la considérer en relation avec la vie consacrée, pour saisir les influences et les défis auxquels nous sommes affrontés. Pas d’autre objectif pour nous que “d’être disposés à répondre avec la sagesse évangélique aux questions que posent les inquiétudes qui habitent le cœur humain et l’urgence de ses nécessités” (VC 81).


DÉFIS ET OPPORTUNITÉS



17. La vie consacrée dans son entier aujourd’hui plus que jamais, se sent défiée par des phénomènes nouveaux et divers. Parmi ceux-là nous distinguons les suivants : 1) la globalisation avec ses ambiguités et ses mythologies. 2) la mobilité humaine, ses phénomènes migratoires et ses processus accélérés ; 3) le système économique néo-libéral injuste et déstabilisant ; 4) la culture de mort et la lutte pour la vie avec tous les défis posés par la biotechnologie et l’eugénique ; 5) le pluralisme et la différenciation croissante ; 6) le génie et la mentalité post-moderne ; 7) la soif d’amour et le “désordre amoureux” et affectif ; 8) la soif de sacré et le matérialisme de la société sécularisée.

18. De tels défis nous situent dans un champ de tensions et de forces opposées que nous ne pouvons ignorer ou sous-estimer. Il est urgent de découvrir où nous mène l’Esprit dans ce “nouveau millénaire commençant” : quelles opportunités et quelles décisions pratiques pour grandir, innover et refonder nous inspire-t-il ; jusqu’à quels processus de formation nous pousse-t-il ; quelles difficultés ou blocages nous révèle-t-il.



I - Mondialisation et globalisation et leurs ambiguïtés

19. Nous sommes, nous aussi, dans un monde global et planétaire. L’information - grâce à la nouvelle technologie – circule sur toute la planète sans difficulté et crée des dynamismes économique, politique et stratégique, jusqu’alors inédits et insoupçonnés. Nous nous sentons plus proches les uns des autres et nous pouvons mieux comprendre nos différences. Ceci dit, ces dynamismes au service de pouvoirs factices, d’intérêts particuliers, de l’idéologie néo-libéral ont, cependant, des effets très négatifs et discriminatoires. Ils génèrent la pauvreté, humilient dans leur dignité les peuples qui sont sans recours, imposent un unique modèle économique néo-libéral et marginalisent les cultures, les peuples et les groupes qui ne servent pas leurs intérêts.

20. La vie religieuse aussi est impliquée dans ce processus de mondialisation. Nos charismes s’enracinent dans des lieux et des contextes culturels et religieux nouveaux. Les différences convertissent nos instituts en communautés transnationales jouissant d’une même identité globale. Cependant, existe le danger que la culture prédominante de l’Institut s’impose aux autres empêchant le processus d’inculturation et l’expression du charisme dans de nouveaux contextes (VC 73 et 79). Ce modèle universaliste pourrait tomber dans la même tentation de partager le projet néo-libéral qui attente à la vie des pauvres et des marginalisés.

21. Ce défi devient l’occasion de reconnaître l’unité dans la diversité de ce monde tant aimé de Dieu ; l’engagement prophétique pour la justice, la paix et la protection de la Création est une dimension de la mission chrétienne, dans lequel l’Église et la vie consacrée opposent un modèle néo-libéral de globalisation sans exclus ni appauvris. Cette sensibilité globale nous ouvre à la possibilité réelle d’inculturer et d’enraciner nos charismes dans le contexte actuel et à une étroite collaboration entre les congrégations et avec les autres formes de vie chrétienne et humaine.



II - La mobilité humaine et les phénomènes migratoires qui en résultent.

22. Les divers conflits politiques et sociaux, tels que la pauvreté, les guerres, l’instabilité politique, l’intolérance religieuse, sont la cause du flux migratoire très divers qui change le visage de nos nations. De grands secteurs de l’humanité se sentent déplacés, déracinés, dispersés à travers le monde. La lutte pour la survie dans de telles circonstances empêche la transmission des traditions, l’éducation équilibrée, un sain et digne développement. Cette situation nous défie au point que dans l’accueil de l’autre se joue notre propre identité chrétienne et religieuse. De là surgissent d’admirables attitudes d’hospitalité et d’accueil, mais aussi des attitudes xénophobes, racistes inadmissibles.

23. Dans la vie religieuse aussi nous faisons l’expérience de la mobilité propre à notre temps. Nous nous sentons appelés à être des communautés et des personnes de l’exode, exigeant une attitude constante de dialogue de vie et d’inculturation, d’ouverture d’esprit et une bonne capacité de transformation. Dans un monde injuste et divisé; il manque des signes et des témoins de dialogue et de confiance, de communion et d’accueil fraternel.

24. La vie religieuse a l’occasion aujourd’hui .de rencontrer l’être humain dans sa mobilité ; de partager avec beaucoup d’hommes et de femmes le déracinement de leur propre identité culturelle et de voir la façon d’adapter et d’imaginer de nouvelles dispositions. Elle doit être samaritaine, sachant accueillir, accompagner ces personnes errantes et marginalisées et cultiver avec empressement l’attention à leur égard. Sa mission acquiert des traits indispensables d’hospitalité, de compassion, de dialogue inter-religieux et interculturel (VC 79). Tout cela suppose pour la vie consacrée une profonde restructuration de son style de vie, de sa mentalité et des projets appropriées.



III - Le système économique injuste et les nouvelles formes de solidarité

25. Un autre des grands défis est l’exclusion à laquelle sont réduits de grands secteurs de l’humanité à cause du processus actuel de globalisation. Une économie non-solidaire génère une forme de carence et de nouveaux types de pauvretés (Cf NMI), qui, conduisent irrémédiablement à un mépris progressif de la vie. La libéralisation de l’économie mondiale n’a pas trouvé la manière d’éviter les effets pervers qui touchent les peuples plus faibles et moins développés.

26. Nous aussi, personnes consacrées, nous pouvons nous trouver installées dans cette économie sans solidarité. Ce défi met à l’épreuve, d’une part, l’authenticité de notre solidarité avec les pauvres, avec les marginalisés, avec ceux dont le droit à la vie est menacé et, d’autre part, notre engagement pour leur libération. Nous reconnaissons que cette solidarité fait essentiellement partie de notre foi en Jésus, de la dimension prophétique de notre vie consacrée et de notre action. Le conseil évangélique de la pauvreté doit se transformer chaque fois davantage dans une pratique individuelle et communautaire de solidarité avec le pauvre, de détachement, de gratitude, de confiance en la Providence et de témoignage d’une vie simple (VC 82).

27. Cette nouvelle prise de conscience nous donne l’occasion de confronter notre style de vie avec l’évangile et avec les besoins urgents des pauvres ; d’instaurer une économie solidaire avec eux et critique quant au système économique en vigueur ; de mettre nos ressources et nos institutions au service des pauvres et de la nature, en participant activement à la défense et à la promotion de la vie, de la justice et de la paix en collaborant avec les autres organisations religieuses et civiles.



IV - La vie menacée et défendue

28. La vie est exubérante, féconde, dans la nature et dans l’humanité. De bien des formes se manifestent aujourd’hui l’estime, la défense et la passion pour la vie ; des personnes et des organisations œuvrent pour les pauvres, pour les droits de l’homme et pour la paix. Les grands progrès de la science, de la biotechnologie et de la médecine moderne, représentent un signe d’espérance et en même temps de crainte pour toute l’humanité et, notamment, pour les personnes consacrées qui se sont engagées dans la lutte pour la promotion et la protection de la vie humaine.

29. L’observation de notre monde nous révèle aussi de nombreux indices de violence et de mort : la vie de la planète est menacée : contamination et manque d’eau, pollution, déchets toxiques. La vie humaine est dépréciée, depuis sa conception et jusqu’à la mort : avortement, violence contre les femmes et les enfants, violence sexuelle, totalitarismes, terrorisme, guerres, peine de mort, euthanasie. On manipule les sources de la vie et de la fécondité sans scrupule ni critères éthiques ; on a l’impression parfois que le premier rôle est donné à la science. Les fondamentalismes religieux provoquent une violence que l’on pourrait qualifier de sacrée, à laquelle nous n’échappons pas non plus.

30. Les défis sont très nombreux notamment pour les consacrés qui servent dans le domaine de la santé :

 Défis éthiques : avortement, euthanasie pour les malades en phase finale, utilisation du clonage thérapeutique et des embryons pour le soin de certaines pathologies dégénératives.
 Défis des grandes pathologies endémiques et épidémiques, telles que le Sida, la Malaria, l’Ébola et le Sars.
 Défis dans le domaine de la justice : il est moralement inadmissible que les maisons pharmaceutiques accumulent des médicaments dans leurs stocks pendant que les pauvres meurent faute de médicaments Les consacrés nous pourrions être les pauvres malades et les défenseurs de leurs droits humains.

31. Cette situation dramatique nous donne de nouvelles opportunités. Nous ne pouvons vivre sans nous sentir atteints en profondeur par cette situation qui affecte notre mère la terre et notre communauté humaine. Il nous faut être attentifs à ne pas nous faire les complices de la “culture de mort”. Nos plans apostoliques perdraient tout leur sens si nous ne nous empressons pas de nous mettre au service de ceux qui vivent une vie diminuée et n’allons pas jusqu’à instaurer une véritable “culture de la vie”.



V - Le pluralisme et la différenciation croissante

32. Nous sommes dans un monde pluriel. Nous sommes plus sensibles qu’auparavant aux différences ethniques, culturelles, religieuses, à celles qui touchent aussi les générations et le sexe. L’acceptation de la pluralité rend difficile et complexe notre façon de penser et d’agir. Il est des cultures qui sont rejetées. Le respect des différences et du pluralisme entre en conflit avec les défis lancés par les intérêts particuliers. Souvent c’est la suprématie des majorités sur les minorités, de la force sur la raison, de l’économie sur la solidarité, de la loi sur la liberté, de l’exclusion sur l’inclusion, de la dictature sur la démocratie. La tendance à la pensée unique et au nivellement de tout est la cause de beaucoup de malaises et de tensions.

33. La vie religieuse, aujourd’hui plus qu’en d’autres temps, accueille la diversité, la pluralité. Elle-même est appelée à être plurielle et diverse dans ses membres comme dans les charismes qui sont les dons de l’Esprit. Aussi se sent-elle mal à l’aise dans les systèmes ecclésiaux et sociaux uniformes, mono-culturels sans participation et sans ouverture. Le défi du dialogue, à tous les niveaux, essaie de dessiner les contours du nouveau style de vie consacrée ; cependant force est de reconnaître que dans la vie religieuse existent souvent des formes culturelles imposées ainsi que des manières de faire et des fanatismes ethniques. Seuls, une obéissance mûre, l’écoute attentive au vouloir de Dieu et des autres, la pratique d’une soumission libre, l’engagement personnel et communautaire intégré, peuvent aider à répondre adéquatement à ce défi.

34. Cette tâche devient une opportunité dans la mesure où l’on est capable d’entrer en communion avec ceux dont nous sommes différents. Alors sont reconnus, dispensés, mis au service de tous, les charismes individuels. Une vie consacrée où vit le respect et la promotion des différences de genre, d’âge, de culture, de rites et de sensibilité acquiert une qualité notable de signe dans notre monde. Elle-même continue de cette manière à mieux comprendre le pluralisme de notre société, à le défendre et à l’informer de la sagesse évangélique.



VI - Le génie et la mentalité post-moderne

35. Ce que l’on nomme “mentalité post-moderne” est un phénomène globalisé, qui affecte avant tout les nouvelles générations. Celles-ci sont moins sensibles à la réalité qui nous touche, mais plus accueillantes au pluralisme et à la complexité et, de ce fait, plus vulnérables. Ce qui accroît le sentiment d’incertitude, d’insécurité et d’instabilité. De là, la tendance narcissique à jouir du présent sans responsabilité ni souci du futur. Rien d’étonnant dès lors qu’en réaction surgissent des mouvements fondamentalistes, extrémistes, qui tentent de trouver la sécurité dans la restauration du passé.

36. La complexité de notre monde et la mentalité post-moderne génèrent aussi dans la vie religieuse - et notamment parmi les jeunes générations - un type de personnalité plus complexe et moins définie. Cela affecte spécialement la vie et la mission des personnes consacrées. Des attitudes plus tolérantes vis-à-vis de la diversité, plus centrées sur le subjectif, moins portées à accepter des engagements durables et définitifs en sont des manifestations avec aussi une relativisation des exigences de l’émotion et du provisoire. D’où la nécessité de trouver d’autres façons de vivre l’Évangile avec authenticité et créativité dans cette nouvelle culture post-moderne.

37. Ce génie post-moderne est une occasion de reconnaître nos limites, d’éviter les triomphalismes des temps anciens ; elle nous rend plus vulnérables et compatissants jusque dans nos communautés et envers tous les êtres humains . Nous voyons en tout cela une opportunité pour retrouver la compassion pour la souffrance de notre monde. De même, le sens du provisoire et la difficulté culturelle de la stabilité pourrait nous conduire à étudier la possibilité de proposer des formes de vie consacrée “ad tempus” (VC 56 et Proposition 33) sans que cela signifie désertion ou abandon.



VII - La soif d’amour et le désordre amoureux

38. Nous percevons dans notre monde une profonde soif d’amour et d’intimité, qui s’exprime de façons si diverses que nous en sommes parfois déconcertés. On souhaite un type de mariage et de famille qui soit foyer et communion, sécurité au milieu d’un monde inhospitalier, étrange, vertigineux et violent. Cependant, nous constatons combien le dialogue de l’amour devient difficile ; comment il est interrompu avec une fréquence chaque fois plus grande ; il aboutit à la rupture et se termine dans l’égocentrisme. On peut déceler en cela la répercussion de divers facteurs : la prédominance culturelle d’un genre sur l’autre (machisme ou sexisme), l’imposition du modèle qui ne favorise pas la stabilité de la famille que la vie de couple requiert, le désir d’autonomie et d’auto-réalisation qui parfois se sentent étouffées dans la vie de famille. Le nombre des divorces est élevé, alors que grandit l’espérance de vie des personnes. La crise de l’institution matrimoniale et familiale – dont nous avons hérité – est évidente : sont apparues d’autres possibilités de relation entre les personnes de genre « gender » différent ou du même genre. Tout cela génère “un désordre amoureux” difficile à gérer.

39. L’Église se lamente parce que son message et sa doctrine – pourtant présentés sous des formes plus formatrices et plus éducatives – ne sont pas suffisamment accueillis et suivis, non seulement dans la société, mais aussi par les fidèles eux-mêmes. La vie consacrée aussi est affectée par cette situation, tant dans la pratique du célibat ou de la chasteté consacrée que dans les relations interpersonnelles et communautaires. Les abandons, fréquents, de notre forme de vie , les scandales sexuels et le manque de maturité affective indiquent que cela résulte pour beaucoup d’une insatisfaction et qu’on ne trouve pas le moyen de dépasser les obstacles et les blocages. Le célibat professé dans la vie consacrée demande de la maturité pour vivre de manière généreuse, féconde et saine l’affectivité et la sexualité. Ce témoignage devient un geste prophétique dans une société aussi fortement érotisée que la nôtre (VC 88).

40. La réflexion anthropologique et théologique ne peut se limiter au thème et aux problèmes relatifs au célibat ou à la vie de communauté. Mais il est vrai que parler du célibat et de la communauté doit se faire en tenant compte des apports de la nouvelle anthropologie ; alors seulement on peut donner une réponse aux nouvelles situations et bien orienter la formation à l’amour et dans le célibat en soulignant la dimension relationnelle entre l’esprit et le corps. L’influence de l’anthropologie doit toucher d’autres champs de la vie consacrée. Jusqu’à maintenant nous ne sommes pas toujours arrivés à bien formuler ses implications qui s’étendent notamment au domaine de la formation et des vocations, des multiples relations interpersonnelles, des formes de gouvernement et d’organisation, du langage. Si l’on ne prête pas attention au substrat humain qui doit soutenir la vie consacrée, il est facile de construire sur le sable.



VIII - La soif du sacré et le matérialisme sécularisant

41. Ce thème est présenté en finale non parce qu’il est d’une importance moindre mais parce qu’en lui est la clé qui donne sens à tout ce qui précède. D’une spiritualité saine et vigoureuse sourdent les meilleures perspectives pour un authentique renouvellement de la vie consacrée aujourd’hui et pour une revitalisation de sa mission. La soif du sacré, un désir de spiritualité, de sens et de transcendance sont perceptibles dans notre monde. D’autre part, l’excessive confiance en soi-même, dans le pouvoir, dans la technologie et dans la richesse, nous éloignent de la réalité ultime. Dans notre monde, on adore de nouvelles idoles qui empêchent l’adoration du Dieu unique et vrai. On globalise, notamment dans les sociétés opulentes, une vision séculariste de la réalité et nous allons, mêlés à un monde sans transcendance, syncrétiste , agnostique, en un mot, sans âme.

42. Aussi bien, dans l’Église et dans la vie consacrée, le sécularisme ambiant favorise une déviation idolâtrique qui s’exprime dans le culte des moyens, des puissants, des institutions, des coutumes, des rites, des lois, qui rendent chaque fois plus difficiles la conversion à l’unique absolu et nécessaire, et la passion pour le Dieu du Royaume et pour le Royaume de Dieu. Le défi d’une sérieuse expérience de Dieu et d’une passion missionnaire, innovatrice et prophétique se fait sentir aujourd’hui comme une conversion au Dieu vivant, car c’est la faim de Dieu qui est au cœur de notre exode et de la mission qui donne sens et identité à notre vocation chrétienne et consacrée. On doit de même accepter que les nouvelles expériences et formes de spiritualité ne soient pas seulement le fruit d’une recherche humaine, mais de véritables appels et défis de l’Esprit pour une société et une humanité qui ne trouvent pas les chemins de la transcendance et qui cherchent avec ardeur le mystérieux visage de Dieu (VC 84).

43. La soif de Dieu et de spiritualité propre à notre temps, à quoi s’ajoute la tendance d’idolâtrie et de sécularisme, nous offre l’occasion de purifier notre vision du religieux, de trouver de nouveaux chemins pour l’exprimer, vivant ainsi notre passion pour le Dieu de l’Alliance. La vie religieuse ne retrouvera toutefois son identité, que si elle apparaît et agit comme témoin de Dieu, annonciatrice de son Royaume ; si elle s’implique dans des processus sérieux de spiritualité, pour pouvoir entendre avec intelligence et empathie les émotions et les sentiments du cœur humain. Elle offrira ainsi les services de la maternité et de la paternité dont nos contemporains sont en manque. Le témoignage du vrai Dieu exige aussi d’être disposés à risquer – dans les cas extrêmes – sa propre vie et d’aller jusqu’au martyre (VC 86). Cette situation nous offre de nouvelles opportunités pour la créativité évangélisatrice et l’annonce de Jésus ressuscité.

44. Une spiritualité à la hauteur des défis et des attentes des femmes et des hommes de notre temps doit se nourrir de l’écoute priante et quotidienne de la Parole, se donner une colonne vertébrale selon les exigences du mystère pascal que nous célébrons chaque jour, s’engager sur le chemin pas toujours facile ni clair du peuple de Dieu dans notre monde, s’exercer au dialogue accueillant et capable de discerner les utopies et les blessures de l’humanité actuelle. C’est seulement à partir de cette expérience de vie dans l’Esprit que l’on peut donner souffle et âme à une nouvelle étape de l’histoire de la venue du Royaume de Dieu et de l’histoire de la vie consacrée. Selon les différents contextes culturels et religieux, la spiritualité peut donner plus de notoriété aux éléments d’intériorité ou d’engagement historique, mais jamais ne peut faire défaut la recherche continuelle d’un équilibre dynamique entre les deux perspectives : en rencontrant Dieu, nous rencontrons un grand amour pour l’être humain spécialement pour le plus petit et le plus faible ; en rencontrant le pauvre et le blessé, nos entrailles s’émeuvent et nos yeux voient en lui, si défiguré et si déprécié soit-il, l’image de Dieu.

BLOCAGES



45. Il est parfois difficile, voire impossible, de cheminer jusqu’où l’ Esprit nous conduit. La vie consacrée se voit freinée et empêchée par divers obstacles et blocages. Les uns viennent de nous-mêmes, d’autres de l’Église et du monde dans lequel nous vivons.



I - De nous-mêmes

a) Limites personnelles et communautaires

46. Nos Instituts se voient bloqués, en premier lieu, par les limites des personnes qui les composent. Le vieillissement progressif des personnes et des institutions dans certains pays, l’origine des nouvelles vocations, parfois affectées de traumatismes familiaux ou sociaux, et accueillies et accompagnées dans nos processus de formation de façon inadéquate, la surcharge de travail pour certains, la superficialité dans le discernement ou le manque de formation initiale et permanente sérieuses, limitent énormément notre capacité à répondre aux défis de notre époque et de nos lieux de vie. Tout cela réduit ou peut arriver à faire disparaître la passion pour Christ et pour l’humanité. C’est pourquoi, souvent, la vision programmatique exprimée dans nos documents excède nos possibilités réelles et est à l’origine d’un projet impossible à réaliser. Elle génère en nous une sentiment d’anxiété et de frustration. Les proclamations solennelles théoriques et le langage peu proche de la vie révèlent plus une astuce mondaine qu’une sagesse évangélique.


b) Infidélité et manque de réponse à la vocation

47. Un autre blocage procède de notre infidélité ou de notre manque de réponse au don de la vocation. L’embourgeoisement ou l’installation – générés par une recherche excessive pour le confort et le bien-être – tout comme le manque de simplicité évangélique, né de notre attachement excessif aux biens matériels – étouffent notre disponibilité et notre esprit missionnaire ; aveuglent notre regard contemplatif, nous insensibilisent face aux pauvres et aux marginalisés et empêchent une authentique vie de communion.

48. L’implication directe ou indirecte dans les scandales sexuels et économiques, et dans les abus de pouvoir nous prive de toute crédibilité et autorité morale et évangélique et paralyse la réalisation de nos projets. Nous ne pouvons assurément pas passer sous silence ces choses ; elles sont graves. Leurs conséquences sont difficiles à évaluer mais, à n’en pas douter, elles sont une négation de la radicalité évangélique de la vie consacrée sous certains aspects où elle devrait briller avec une force particulière.


c) Les peurs et l’enfermement dans ce qui nous est propre

49. L’action de l’Esprit en nous est bloquée quand nous nous laissons conduire par la peur ; nous refusons le risque de prendre les décisions opportunes, et nous déprécions le système qui s’impose. La peur paralyse, réduit notre capacité à risquer et nous conduit à rechercher des positions sûres ; nous redevenons traditionalistes, fermés à la rénovation et à l’innovation.

50. Quand les supérieurs se laissent aller à la peur, surgit un leadership médiocre, complaisant en tout et avec tous, et par conséquent hésitant, ou par soumis devant les autorités supérieures. En un mot, plus disposés à plaire qu’à agir. Dès lors, l’exercice évangélique de l’autorité aussi bien que l’obéissance sont rendues difficiles. Il manque aujourd’hui des hommes et des femmes qui ont assez d’autorité morale pour conduire les communautés dans la fidélité créative au charisme.
51. Les groupes conservateurs qui tentent toujours d’empêcher la rénovation préconisée par le concile imposent leurs lois dans certains domaines de la vie et en certains endroits ; si bien que le charisme collectif devient routinier et décadent. Dans ce cas, les personnes créatives et innovatrices sont regardées avec méfiance et surveillées ; le plus qui leur soit permis, ce sont certaines adaptations qui ne portent pas atteinte au statu quo. De cette manière, “le vin nouveau” demeure dans des “outres vieilles” (Mt 9, 17).

52. Les peurs nous amènent à chercher des sécurités, qui nous conduisent à l’enfermement sur notre propre monde – religieux ou ecclésiastique, provincial ou national – à un attachement exagéré à notre langue ou à notre culture et à l’isolement dans notre tradition charismatique ou religieuse. De sorte que nous devenons aveugles, incapables de découvrir les signes de l’Esprit et nous tuons toute initiative et toute créativité propres à répondre aux urgences de notre temps. Il y a un besoin urgent d’un nouveau souffle du Concile Vatican II qui nous donne audace et lucidité pour être fidèles à l’évangile.



II - A partir de l’Église et de la société

53. L’Église est le corps du Christ en croissance perpétuelle (MR 11). En elle, la vie consacrée trouve l’espace adéquat pour vivre, se développer et grandir. Mais elle souffre d’un blocage chaque fois que règne un système ecclésial fermé, qui, tant au niveau de l’Église universelle qu’au niveau des églises particulières, manque de confiance et se méfie de la liberté évangélique dont la vie consacrée est bien des fois animée ; en pareils cas, celle-ci se sent reléguée dans la relation à d’autres groupes plus conciliants et, par conséquent, peu appréciés ; en certains endroits, ses initiatives et ses œuvres sont paralysées et deviennent objet de discriminations. Si, sensible au contexte, on opte pour le conformisme, on perd sa vertu prophétique ; si on opte pour l’exercice de son prophétisme, on se voit rejeté. Or, la dimension prophétique si essentielle à la vie consacrée a besoin d’être cultivée et promue ( VC 84-85).

54. Les sociétés dans lesquelles nous vivons nous influencent puissamment, si bien que leurs blocages sont nos blocages, de même que leurs vertus sont nos vertus. Il suffit de mentionner les blocages procédant des régimes dictatoriaux, des sociétés très fermées dans ce qui leur est propre et sans ouverture sur la réalité globale, ou des sociétés très matérialistes et sécularisées. Sont aussi nombreux les groupes, les courants ou les tendances culturels qui nous bloquent, à savoir, le manque de crédibilité des grandes groupes (partis, syndicats, projets sociaux, organismes religieux), la chute des grandes utopies qui rendent plus difficile la lutte pour un avenir meilleur, contre la terreur et la violence. Tout cela nous plonge chaque jour un peu plus, et où que l’on soit, dans l’insécurité et la peur.



III - Les blocages n’entament pas notre espérance

55. La réalité qui nous interpelle, n’entame pas notre espérance. Notre temps est le temps du Dieu de l’Alliance, du Dieu “toujours grand”, qui, par ses dons, surpasse nos désirs.

56. A l’intérieur de l’humanité et de l’Église, nous vivons, comme consacrés, des moments cruciaux. Nous avons à prendre des décisions de grande importance pour l’avenir immédiat. S’imposent à nous des options décisives : nous pouvons favoriser la vie ou la rendre difficile, croître dans la communion ou créer plus de distance entre nous, nous laisser vaincre par les difficultés ou leur faire face. Nous n’avons pas de temps à perdre. Les nouvelles réalités demandent de nouvelles réponses. Dieu nous parle à travers ces nouvelles situations et ces défis. Ces réponses doivent bien s’enraciner dans la vie réelle, mais doivent aussi naître et être alimentées du contact avec la sagesse de Dieu, avec la Parole qui nous vient de Lui et nous illumine, nous provoque, nous éduque, nous purifie, nous guide et nous donne de nouvelles inspirations. C’est le moment d’écouter sa voix. Le moment présent de la vie consacrée n’est pas le meilleur de notre histoire, mais pas non plus le pire. C’est le nôtre ; celui qu’il nous revient de vivre et arriver à faire aboutir avec une foi qui agit par la charité et rend possible l’espérance.

57. Nous ne pouvons nous évoluer dans un idéal de vie consacrée trop éloigné de la réalité . Ni oublier celle-ci pour parler du futur hors du réel ; ni structurer ce futur avant qu’il ne naisse de lui-même d’un paradigme qui est en train de mourir. Il serait bon de retrouver la capacité d’une réelle revitalisation des modèles proposés, acceptant d’opérer avec des solutions précaires et provisoires, sans vouloir tout déterminer.

DEUXIÈME PARTIE


ILLUMINATION : L’ICONE

“Quand il viendra, il nous expliquera chaque chose !” (Jn 4,25)

“Qu’y a-t-il d’écrit ?…Comment lis-tu ? ” ( Lc 10,26)


58. Face aux défis que nous lance la réalité et les blocages qui nous paralysent, nous cherchons la lumière et la force dans la Parole de Dieu. C’est ce qu’ont fait nos Fondateurs et nos Fondatrices. “De la fréquentation assidue de la Parole de Dieu, ils ont reçu la lumière nécessaire pour le discernement individuel et communautaire qui les a aidés à chercher les voies du Seigneur dans les signes des temps” (VC 94). La Parole nous amène à discerner la volonté de Dieu – ce qui lui plaît, le meilleur (Ro 12,2) – et ses voies dans les signes des temps, et à agir avec fidélité et sagesse.

59. Nous voulons nous laisser illuminer dans notre discernement, comme nous l’avons déjà dit, par des icônes bibliques : le récit de la rencontre de la Samaritaine avec Jésus au puits de Jacob (Jn 4, 1-45) et la parabole du Samaritain (Lc 10 29-37). La première icône a déjà été utilisée par les femmes consacrées qui ont participé au synode de 1994. Elle est utilisée ici pour affirmer la recherche spirituelle passionnée d’eau vive, la “passion contemplative” que tous –femmes et hommes religieux – portons dans notre cœur et que seul Jésus peut rassasier. La seconde icône est proposée comme exemple de compassion active et diligente envers toute personne blessée dans son corps et dans son âme. Les deux icônes, au début de ce troisième millénaire, peuvent aussi inspirer notre discernement et nous conduire à de nouvelles perspectives et à de sages orientations Elles nous ouvrent des horizons nouveaux, inédits, propres à nous orienter dans la conjoncture nouvelle qui est bien la nôtre.



SAMARITAINE ET SAMARITAIN


60. Contre toute expectative - en ce temps là, on n’attendait pas de conduite conforme à la volonté de Dieu de la part d’un samaritain ou d’une samaritaine - voici que les deux protagonistes sont surpris dans un processus de transformation, s’exprimant par des gestes et des réactions particulières, propres à inspirer notre vie. Dans ces deux icônes, la vie consacrée tant féminine que masculine, voit le reflet de son aventure spirituelle faite de passion pour Dieu et de compassion pour les hommes.



I - L’icône de la Samaritaine : la soif et le dialogue de libération

61. L’épisode du dialogue avec la Samaritaine en Jean se situe dans le contexte des premières réactions face à Jésus : celle du juif Nicodème qui veut savoir avec clarté mais qui oppose une résistance en partie marquée par le scepticisme (Jn 3, 1-21) ; celle de la femme samaritaine fascinée par la nouveauté (Jn 4, 1-42) et celle du fonctionnaire païen qui se convertit lui et toute sa famille. Dans la tradition, le chapitre quatre de l’évangile de Jean était considéré comme une importante catéchèse baptismale. Sur le chemin de sa vie, la femme samaritaine rencontre Jésus (Jn 4, 46-54). Jésus, fatigué de la route, est assis sur la margelle du puits de Jacob . Mu par l’amour mendiant de Dieu Père et défiant les partis pris et les tabous de son temps ( Jn 4,27), il entre en relation avec la femme et lui demande à boire. Il ne se laisse pas troubler par la résistance initiale de celle-ci ; le dialogue se déroule suivant sept réponses données par la femme aux sept phrases de Jésus. Le cœur des deux participants est touché. Jésus demande à être cru et parle du véritable culte en esprit et en vérité (Jn 4, 23-24). Il va jusqu’à lui confier le secret le plus intime de sa personne et lui annonce qu’il est "le Messie qui doit venir” (Jn 4,26). Aussitôt, la femme ressent la force de ses paroles et la profonde attirance de sa personne. Elle découvre progressivement le mystère de cet homme qui lui offre l’Eau vive et la possibilité d’une nouvelle relation avec Dieu, au delà du culte institutionnalisé et pratiqué sur la montagne ou dans le temple.

62. Cette femme porte dans son cœur une histoire de relations blessées ; peut-être va-t-elle au puits à une heure intempestive pour ne pas être vue. Elle connaît, sans doute, quelques éléments des pratiques religieuses mais elle a besoin de quelque chose de neuf et de plus profond. Dès qu’elle l’a trouvée, elle devient une autre personne. Le vide de sa vie se trouve bien symbolisé dans la cruche… Jésus perçoit le mal-être intérieur causé par son passé aventurier. Et il se révèle au rythme des inquiétudes découvertes chez la femme, et la Samaritaine change, passant de l’ironie à la séduction qui la désarme, du vide à la plénitude qui l’enthousiasme. Elle devient méditative et confiante, parce que ce maître mystérieux ne la condamne pas et lui parle avec des mots nouveaux qui touchent son cœur assoiffé de relations intenses. La rencontre avec Jésus la transforme en messagère : elle court à la ville et interpelle ses concitoyens leur annonçant un “Messie” qui connaît sans condamner et oriente la soif vers des eaux qui surgissent jusqu’à la vie éternelle (Jn 4,39). La cruche, symbole de la soif humaine et des affections qui ne l’ont jamais encore rassasiée, est devenue désormais inutile. Elle l’abandonne (Jn 4,28). Jésus annonce à ses disciples, entre autres choses, que la moisson est désormais au point et c’est l’heure de moissonner ( Jn 4, 35-38). La femme suscite dans la ville la foi en Jésus et conduit ses concitoyens à Jésus ;

63. Nous découvrons dans ce récit biblique l’icône de notre vocation, en tant qu’expérience d’une rencontre avec Jésus et engagement à annoncer l’Évangile. A l’endroit de la rencontre – absolument dépourvu de tout signe sacré – le dialogue ouvre le cœur à la vérité ; il révèle et guérit. Dieu se montre vulnérable et assoiffé en Jésus ; la soif de Dieu rencontre la soif de la femme, notre soif. Celui qui demande à boire est capable d’offrir une eau vive et éternelle qui régénère et transforme la vie. La relation se fait jeu et regard, confiance et nouvelle naissance. Jésus ne se méfie pas de l’humanité inquiète. Sa tranquillité et sa liberté intérieure permettent que cette humanité, représentée dans la femme, se sente protagoniste, qu’elle danse au rythme de sa propre inquiétude jusqu’à ce qu’elle rencontre l’eau vive qui jaillit jusqu’à la vie éternelle. La soif de Jésus et la soif de la femme sont le fil conducteur d’un dialogue libérateur qui guérit les blessures antérieures, incurables jusqu’à ce moment-là et que les préjugés raciaux et religieux ont rendus plus intolérables. L’amour “indigent” de Dieu en Jésus nous demande à nous – humanité inquiète – de boire et il nous offre gratuitement l’Eau de la Vie.

64. Nous nous voyons dans la femme comme dans un miroir, parce que, en effet, nous avons été bien des fois blessés dans nos relations mutuelles, et sommes assoiffés de vérité et d’authenticité. Nous nous découvrons aussi incapables de comprendre nos affections, où se cache notre cœur dévoyé., La Parole méditée dans ce texte peut éclairer notre vie. Ce sont les circonstances simples et ordinaires de la vie qui intéressent Jésus ; celles qui se transforment en moments particuliers de grâce et de révélation.. La capacité à inciter la foi de cette femme marquée par une histoire obscure nous surprend ; en même temps, elle nous enseigne à avoir confiance dans les petites choses et dans les secours humbles. Les partis pris des disciples témoins de cette scène (Jn 4, 26-27) révèlent une mentalité machiste qui se prolonge jusqu’aux jours d’aujourd’hui. La sérénité même de Jésus, inhérente à la claire conscience de sa mission, lui permet d’attendre patiemment la question exacte et le moment de la confidence totale. A la ville ,les disciples vont acheter de quoi manger ; à la ville, la femme retourne toute seule, mais elle fera en sorte que nombre de samaritains commencent un chemin de foi dans “le Sauveur du monde” ( Jn 4, 39-42).





II - L’icône du Samaritain

65. Sur la route de sa vie, un samaritain – ainsi que le dit la parabole – rencontre un être humain laissé à moitié mort par des voleurs de grand chemin ; remué en son cœur, il s’occupe de lui (Lc 10, 25-37). Interpellé insidieusement par un docteur de la loi sur ce qu’il faut faire pour entrer dans la vie éternelle et qui est le prochain, Jésus le renvoie tout d’abord à la lecture de la Loi – au premier commandement - ; et, d’autre part, pour clarifier le concept de prochain, il a recours à une histoire exemplaire où affleure la perspective du contraire : l’important n’est pas de savoir qui est mon prochain pour l’aimer, mais d’avoir au cœur la disposition à s’émouvoir et s’approcher de celui qui est dans le besoin. Ici, on passe du prochain, considéré comme objet d’attention, incluant les uns excluant et les autres, au sujet qui vit la proximité en aimant, parce que seule la compassion vécue nous rend proches.

66. Nous pouvons distinguer entre le samaritain de l’heure tragique – celui qui secourt la victime des voleurs, à l’endroit où il se trouve, avec immédiateté et efficacité pour le sauver de la mort – et le samaritain du jour suivant qui organise son rétablissement selon les exigences du moment et de l’économie, en demandant la collaboration d’autres personnes.

67. La tradition théologique et pastorale a lu dans ce texte un reflet de l’humanité blessée et abandonnée à elle-même, et de la compassion de Dieu qui, à travers le Fils, se penche pour la soigner. Cette interprétation se base sur une parole “saisi de compassion” - kai esplanchnisthè – qui apparaît ici, comme dans le récit de la veuve de Naïm (lc 7, 13) et pour le même motif qui pousse le père du Fils prodigue à accourir vers lui (Lc 15,20). Cette interprétation si pleine de beauté et si suggestive est toujours valide et montre comment vivre les sentiments mêmes du Christ, s’agenouiller comme lui devant l’humanité blessée et violentée et secourir par tous les moyens les blessés et les abandonnés qui gisent à “demi morts » à la périphérie de notre société.

68. Cette parabole nous montre comment Jésus marginalise dans son évaluation ceux qui sont signes de pouvoir religieux quand ils ne se laissent pas émouvoir de compassion et en échange donne le premier rôle à un homme ému de compassion qui par des gestes pauvres et simples s’occupe du blessé en utilisant l’huile, le vin, les bandages, sa monture et l’auberge. L’aide immédiate est offerte le mieux possible, mais le samaritain aussi demande au patron de l’auberge de le “soigner” et – pour ce faire – il lui prête attention, considération et confiance et que cela dure tout le temps nécessaire au rétablissement du blessé. Mais cet homme dans le besoin demeure présent dans l’esprit et la préoccupation du samaritain aussi, si bien qu’il est poussé à retourner auprès de lui pour vérifier le traitement qu’il reçoit et payer les dépenses. Il ne se décharge pas sur d’autres de sa préoccupation sinon pour qu’elle devienne un appui de sa solidarité active. L’invitation finale de Jésus à ce “qu’il soit fait de même” (Lc 10, 37) aiguille vers une pratique cohérente non vers des principes théoriques.

69. Le chemin du Samaritain est aujourd’hui un espace immense, où affluent des hommes et des femmes, des enfants et des personnes âgées, qui portent dans leur corps “à demi-mort” les blessures que toutes sortes de violence ont imprimées dans leur peau et dans leur âme. Sont innombrables les visages défigurés par la violence et l’injustice : visages d’émigrants et de réfugiés en quête de patrie, de femmes et d’hommes exploités, d’anciens et de malades abandonnés à eux-mêmes ; visages humiliés par les partis pris raciaux ou religieux, visages d’enfants traumatisés dans leur corps et dans leur esprit, visages défigurés par la faim et la torture. Ils sont les flagellés de la terre, qui gisent en marge de notre histoire et demandent une compassion créatrice pour convertir les institutions traditionnelles de charité en réponses adéquates aux nouvelles urgences et en témoignage nouveau de proximité. Etre proche veut dire voir les situations du point de vue du pauvre qui est le dernier (eschaton) de la société et le critère déterminant du jugement final (Mt 25, 31-45) et, à partir de ce qui lui est nécessaire et à partir de son traitement thérapeutique et de sa libération. Le principal défi aujourd’hui consiste à changer de priorités pour promouvoir les dynamiques de la proximité compatissante.

70. Le défi le plus important consiste à se mettre en action, donnant une priorité à celui qui est dans le besoin, aux personnes et non aux affaires, aux itinéraires thérapeutiques et non aux normes sacrées qui nous démobilisent vis à vis de la compassion, comme cela est arrivé au prêtre et au lévite. Les hommes de l’institution ne surent pas libérer l’imagination de la charité. Ils poursuivirent leur chemin pour rester purs dans le sens légal et cultuel. Cependant, celui qui vivait la religiosité et le culte sous une forme pas correcte, voire dépréciée par les chefs religieux officiels, s’est montré le seul capable de vivre la charité. Libre des schémas sacrés extérieurs, il prit des entrailles de miséricorde. Lorsque les entrailles s’émeuvent, même les recours pauvres comme l’huile, le vin, las bandelettes, se convertissent en signes de grande et profonde valeur. Mais il faut descendre de la monture, signe de notre état privilégié qui nous sépare de tant de personnes sans dignité, sans toit, sans but. Il faut verser sur leurs plaies l’huile de notre contemplation pour que ce ne soit pas une simple recherche égoïste et solitaire, et le vin de la tendresse et de la gratuité pour que reviennent l’espérance et l’envie de vivre

71. La communauté samaritaine se constitue autour de Jésus. Ce sont ceux qui demeurent avec Lui, partagent sa compassion pour l’humanité et sont envoyés, comme Lui, pour annoncer la Bonne Nouvelle, avec le pouvoir de chasser les démons (Mc 3,15) et de soigner les malades en les oignant d’huile (Mc 6,13). C’est ainsi que se forme la vraie fraternité de Jésus dans un monde violent et injuste.




UNE VIE CONSACREE “SAMARITAINE”


I - Clés de relecture

72. Ces icônes - contemplées conjointement – nous montre comment la vie consacrée naît d’une expérience de la vocation. Elle advient dans la rencontre et le dialogue de vie avec Jésus qui nous interpelle et à travers les êtres humains les plus nécessiteux. Samaritaine et Samaritain nous poussent à faire la lumière sur les relations blessées de notre vie consacrée afin qu’elles soient accueillies avec compassion, soignées gratuitement et diligemment en versant sur elles l’huile de la compassion et le vin de la tendresse et de la gratuité. Les deux images nous amènent à nous asseoir ensemble sur la margelle de tant de “puits” où les cœurs inquiets en quête d’une nouvelle espérance libératrice rassasieront leur soif, ou bien aller sur les chemins où les indigents ont besoin de notre aide ; dialoguer avec calme et sans parti pris, sans calculer le temps ni le prestige ; partager la passion pour l’eau qui rassasie vraiment, vivifie et transforme ; à descendre de nos “piédestaux”, privilèges, structures rigides, préjugés sacrés – pour nous lier au destin des crucifiés de la terre, et lutter contre toute violence et contre toute injustice et, ce faisant, commencer une nouvelle étape de guérison et de solidarité.


II - Le « nouveau modèle »

73. Est en train d’émerger, sous l’influence de l’Esprit qui nous guide sur le chemin jusqu’à la vérité tout entière (Jn 16,13), une vie consacrée avec de nouvelles caractéristiques. Est ressenti avec toujours plus d’intensité le besoin d’une forte expérience contemplative, vécue au milieu des angoisses et des espérances du peuple, notamment des plus fragiles et des petits. On est en train de recomposer un nouveau modèle de vie consacrée – né de la compassion pour les meurtris et les flagellés de la terre – autour de nouvelles priorités, de nouveaux modèles d’organisation et de collaboration ouverte et flexible avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté. Les éléments qui ont caractérisé cette vocation chrétienne au cours de l’histoire et qui expriment sa grande et riche tradition sont repris dans une synthèse nouvelle. C’est l’occasion de recouvrer l’Évangile comme première norme, le commandement suprême de l’Alliance comme élément nucléaire et la fraternité comme prophétique dans une situation de division et d’injustice, en vivant la passion pour l’humanité avec une forte charge d’imagination créative. L’expérience de l’insertion parmi les plus pauvres et les exclus a donné une nouvelle configuration à la vie consacrée comme vie samaritaine qui annonce l’Évangile dans un langage nouveau : “combien de personnes consacrées se sont penchées et continuent à se pencher comme de bons samaritains sur les innombrables blessures de leurs frères et sœurs rencontrés sur leur route” (VC 108).

74. Ainsi émerge – quoique dans un milieu de grande fragilité - un nouveau visage de l’Église pascale, servante, enrichie du témoignage des martyrs. Se propagent des exemples et des expériences de communautés fraternelles et solidaires, priantes et audacieuses, constantes dans le bien et vigilantes dans la compassion, hardies dans les initiatives et joyeuses dans l’espérance. “Ce monde, le nôtre, n’a-t-il pas besoin d’hommes et de femmes qui sachent par leur vie et leur action, être des semeurs de paix et de fraternité ?”(VC 108).

TROISIÈME PARTIE

JUSQU’À l’ACTION


“Donne-moi à boire ” (Jn 4,7)

“Fais cela et tu vivras ! … Va et fais de même” (Lc 10, 28.37)


75. Les paroles insistantes de Jésus au maître de la loi, nous sont adressées à nous aujourd’hui : “Fais cela et tu vivras !”. Les deux icônes sont pour la vie consacrée un stimulant et un programme de vie et d’engagement. Nous revient la tâche herméneutique d’interpréter en chaque lieu et en chaque temps comment les faire réalité. Dans la Vie Consacrée nous avons donné en préliminaire beaucoup de choses et parfois seulement pour le simple fait de les connaître et de les dire. Cependant, nous devons donner en préliminaire plus que ce que nous vivons. Il s’agit de faire cela pour vivre.

76. Reconnaissons, avant tout, qu’il ne s’agit pas d’inciter à un effort volontariste. Dieu agit en nous et avec nous. Il y a des indices de nouveauté, précurseurs du don qui nous est offert et que nous devons connaître. Mais il y a aussi des ambiances et des champs où nous devons démontrer notre disponibilité pour collaborer avec la grâce et démontrer la force créatrice et imaginative de notre liberté et de “l’imagination de la liberté” (NMI 50).



INDICES DE NOUVEAUTÉ : JUSQU’OÙ L’ESPRIT NOUS MÈNE-T-IL ?


77. L’Esprit Saint continue à agir dans la monde, dans l’Église et en nous. Des signes de vie et d’espérance apparaissent n’importe où. Ceux qui sont sensibles à l’Esprit et à la vérité “connaissent le don de Dieu” (Jn 4,10) et savent ce qu’il est bon de faire pour vivre et donner la vie. Il y a des témoignages de tout cela dans la vie consacrée qui faut savoir lire et parfois interpréter. Il faut surtout savoir entrer dans les processus qui permettent de mener à bien ce que l’on a entrepris.



I - Le pouvoir des Sources : Là, sourd l’eau vive

78. Depuis le Concile Vatican II et jusqu’à ce jour, la vie consacrée a fait un grand effort pour retourner aux sources, pour retrouver le don de Dieu. Elle a cherché à re-trouver la Parole, l’inspiration première et son identité.

79. La Parole de Dieu a été mise au centre de la vie et en a imprégné tous les aspects. Nous l’écoutons avec tout le peuple de Dieu, dans le contexte de notre temps. La vie consacrée “s’est retrouvée avec la Parole” (VC 81et94). En elle, nous trouvons la force pour vivre, l’orientation pour marcher selon les voies du Seigneur et le stimulant pour nos projets missionnaires. Nous fondons en elle une spiritualité incarnée et inculturée. Elle entre dans tous les aspects de notre vie : prière, communauté et mission grâce notamment à la redécouverte et à la diffusion de l’antique tradition de la “lectio divina”; ainsi la Parole se fait sagesse “vive qui interpelle, oriente et façonne l’existence” (NMI 39). Ainsi nourris de la Parole, tous, nous devenons des “serviteurs de la Parole en nous engageant dans l’évangélisation”(NMI 40).

80. Dans certains Instituts religieux, il y a eu aussi un retour à l’inspiration originelle de nos Fondateurs et Fondatrices dans l’esprit du Concile Vatican II (PC 2). On est alors arrivé à
a) percevoir la fraîcheur permanente du charisme et sa force structurante, transformatrice et prophétique (VC 84 -85). Le retour aux origines de l’Institut nous fait nous considérer en famille ;
b) comprendre que le charisme dont nous avons hérité est un don pour toute l’Église et que, en conséquence, il peut et doit être partagé avec d’autres personnes (VC 54-56) ;

c) à découvrir une nouvelle réalité exprimée dans un langage nouveau : “charisme partagé”, “spiritualité partagée“, mission partagée”, “communauté partagée” (RDC 30-31) ;

d) modifier notre compréhension de l’Institut jusqu’à nous considérer comme “famille”, raviver notre sens de l’Église et de vie consacrée partagée ;

e) renaître à l’enthousiasme, retrouver l’imagination créatrice des origines dans des contextes neufs et répondre aux nouvelles nécessités (VC 37) ;

f) redéfinir notre identité, non seulement à partir des “éléments essentiels” mais à partir de la corrélation avec toutes les formes de vie chrétienne, depuis le service humble rendu à tous et l’attitude de partage (CfL 55) ;

g) répondre à la demande des laïcs et des ministres ordonnés de partager notre inspiration spirituelle.



II - Les rencontres qui transforment : Nous sommes allées boire au même puits

81. L’esprit de Dieu continue à créer du neuf, il continue à nous parler par les prophètes et à nous appeler à une fidélité pleine d’amour et d’audace apostolique ( VC 82). Aujourd’hui dans la vie consacrée il y a des empreintes de sa présence rénovatrice. Dans cette vie consacrée se font de nouvelles “rencontres” qui la transforment et la vivifient, la questionnent et lui lancent de nouveaux défis ‘VC 73). La rencontre est la création, l’incarnation et la rédemption. Pour être fécondes, ces rencontres doivent se faire sous “la tente de la rencontre” comme l’a fait Moïse (Ex 33,7). Dans le processus de re-fondation commencé par la vie consacrée on est passé de l’isolement et de la distance, au dialogue, au partage, à la communication, à la présence et à l’interaction. Et de nouveaux modes de relation se sont multipliés.

82. Parmi les rencontres les plus significatives et les plus conséquentes pour les religieux, il convient de signaler les rencontres entre hommes et femmes et entre religieux et les laïcs. Dans un cas comme dans l’autre on apprend , peu à peu, à boire au même puits et à aller de l’avant pour la vie de l’Église et de la société, en marchant sur ses deux pieds, écoutant avec les deux oreilles et regardant avec les deux yeux. Les rencontres entre les cultures et les différentes générations se multiplient ; nous sommes en train d’apprendre à vivre unis dans la diversité des cultures et des âges et à comprendre que c’est une grande richesse. Rencontres entres les religieux et les pauvres ; les expériences d’insertion, de solidarité et de vie partagée avec les pauvres, lorsqu’elles on eu lieu ont été fécondes (VC 82). Rencontre entre les croyants et les non-croyants, entre membres des unes et des autres religions et des unes et des autres Églises. Nous sommes en train de faire tomber les divers types de frontières qui nous séparent et nous divisent, de créer des ponts et de grandir dans la communion. A travers le dialogue et les échanges, nous découvrons aussi la richesse des formes de vie existant dans d’autres traditions religieuses. L’enrichissement suppose pour les religieux la rencontre avec la mère terre. La dimension écologique peut avoir des incidences importantes sur notre mission et notre spiritualité (VC 103 ; NMI 56). La rencontre avec d’autres congrégations qui peut aller de la simple collaboration à la confédération, la fédération et la fusion (VC 52 et 53) nous permet de mettre en relief l’essentiel et ce qui est commun de la vie consacrée sans porter atteinte à la spécificité de chaque groupe. Cette aide contribuera à trouver le nouveau paradigme que d’une manière ou d’une autre nous sommes tous en train de chercher.
83. Ces rencontres vécues comme événements, comme processus et comme grâce vont déboucher sur les éléments essentiels des nouvelles formes de vie consacrée déjà en cours dans la réalité et qui demandent créativité et lucidité de la part de beaucoup pour prendre forme sur le chemin actuel de l’Église et de la société. Les exigences de ces rencontres sont évidentes et si elles ont été fréquemment mises en route, souvent elles n’ont pas eu de suite. Cependant, en elles et avec elles surgissent des formes de vie évangélique simples, radicales, œcuméniques, insérées dans les milieux populaires, flexibles quant à leur structure, accueillantes, attentives au langage symbolique, aux rythmes actuels de la vie et aux exigences de communion profonde avec Dieu et avec les personnes (VC 12 et 62).



III – Le langage de l’eau cristalline : jaillit, coule

84. Ces signes de la vitalité que l’Esprit suscite dans la vie consacrée, nous ont provoqués à exprimer le nouveau, d’une manière nouvelle, avec un nouveau langage et par la création de schèmes symboliques originaux. Ainsi, nous parlons de “nouveau paradigme”, de “nouveau modèle”, “de nouvelles formes“, de re-fondation”, et de “fidélité créative”. La forme de vie change et configure le langage ; le langage se modifie et configure la forme de vie. Rien d’étonnant que les nouvelles formes de vie de la Vie Consacrée modifient nos formes d’expression et d’organisation et que ces nouveaux mots modifient aussi nos manières de vivre. La vie religieuse a toujours été un laboratoire de nouveaux modèles culturels et organisateurs, exprimant ainsi d’authentiques valeurs évangéliques dans les différents contextes et les conditions culturelles et religieuses. En elle, a toujours existé une tendance à l’inculturation qui est parvenue jusqu’à nous et que nous avons le devoir de réactualiser.

85. Avant tout, nous découvrons le besoin de nouvelles expressions et de nouvelles méthodes pour annoncer en notre temps Jésus Christ et l’Évangile du Royaume. La vie consacrée consciente d’être appelée à partager le grand projet de la “nouvelle évangélisation” sait ce que cela exige : “une nouvelle ardeur” ou un nouveau langage spirituel qui allie mission et spiritualité, communauté et individualité, corps et esprit. Elle sait finalement que l’option pour les pauvres et les exclus est de première urgence pour cette nouvelle évangélisation (NMI 49)

86. Certains symboles et langages symboliques du passé perdent de leur force et sont supplantés par d’autres formes de communication plus adaptées à l’humanité contemporaine. Le contact avec la réalité socioculturelle et ecclésiale nous humanise, nous renouvelle et nous force à nous adapter. Une sensibilité différente est en train de naître parmi nous et l’Esprit Saint nous conduit à des formes nouvelles de mission et de vie. Tout cela requiert de notre part une sérieux engagement à cultiver le don que Dieu nous fait.



IV - Nouvelles relations dans une Église de communion :fruit inépuisable de la terre bien irriguée

87. Le développement progressif de l’ecclésiologie de communion, point de départ du Concile Vatican II, a invité tous les membres du Peuple de Dieu à poursuivre ensemble des chemins de sainteté, d’évangélisation et de solidarité. La confession du Mystère Trinitaire et la reconnaissance du rôle de l’Esprit Saint dans l’Église, de la fécondité, de la communion et du dynamisme missionnaire qu’il opère, en même temps qu’elle a révélé la richesse des diverses vocations et des formes de vie dans l’Église, a souligné l’interdépendance et la réciprocité existant entre elles (CfL 55). En cela s’origine un élargissement des relations en même temps qu’une qualification d’elles-mêmes qui donne la possibilité de vivre en profondeur la filiation, la fraternité et la mission inhérentes à toutes les vocations chrétiennes. En développant la spiritualité de communion prônée par Jean Paul II (VC 46, NMI 43, PG 22), l’Église se rend visible comme communion de croyants et d’apôtres, les horizons missionnaires s’élargissent, le dialogue tous azimuts et avec différents interlocuteurs devient fécond, les chemins de la solidarité se multiplient , ce qui revient à dire que l’Esprit “samaritain” se vit (Église en Asie 31,34 et 44).

88. Les relations des consacrés, durant ces dernières années, se sont étendues, multipliées. Non seulement l’attention aux relations avec les évêques, mais aussi avec les laïcs et, notamment, avec ceux qui partagent le même charisme, la même mission ; avec les prêtres séculiers qui se font les médiateurs de beaucoup d’autres relations à l’intérieur des communautés chrétiennes qu’ils animent ; et aussi avec nombre d’autres personnes de bonne volonté qui collaborent à la transformation du monde. Les consacrés essaient d’entrer dans la chaîne de la solidarité, alternative à la globalisation impersonnelle ; nous sommes conscients que cela comporte des problèmes et implique des conflits. Nous pensons qu’il est de notre devoir de prévenir les effets néfastes de la globalisation, de soutenir les initiatives des organismes qui travaillent à créer cette conscience et nourrir ainsi le désir profond de communion, même si parfois nous n’arrivons pas à bien le vivre et que d’autres fois cet engagement n’est pas bien reçu.



LA RÉPONSE AU DON : FORCE IMAGINATIVE ET CRÉATRICE


89. Le Maître invite “Fais cela et tu vivras !”. Nous devons nous mettre au travail. Le Congrès invite la vie consacrée à commencer une nouvelle praxis, et à la poursuivre en avançant avec décision et sérieux. Pour ce faire nous nous donnons un double objectif qui correspond à une double urgence de la vie consacrée. Cela demande violence, zèle, en un mot, passion pour le Seigneur et pour l’humanité ; cela demande aussi du sérieux dans la réflexion et de la clarté dans les intentions. Dans ce chapitre nous voulons regarder et assumer le futur que le Seigneur veut pour nous en décrivant le mieux possible la réponse que nous devons donner à la proposition que Dieu nous fait

90. Indiquer ce qu’il convient de faire pour que la vie religieuse soit significative dans la société et dans l’Église n’est pas une chose simple. Nous adopterons - comme l’a fait l’Église avant le Concile Vatican II - la méthode pédagogique qui convient très bien, à savoir, signaler ce qui ne va pas, ce qui est en voie de disparition, ce qui n’a pas de présent et encore moins de futur. Cela nous aide à focaliser nos forces sur le plus important.

91. Voici donc quelques réflexions et quelques questions propres à orienter le discernement du congrès. Les domaines sur lesquels portent ces questions sont tirés de la consultation préalable.



I - Témoignages de transcendance

92. En ces temps où l’expérience de Dieu est estompée et dans beaucoup de cas totalement éteinte, ou, dans d’autres cas, brouillée par un pluralisme religieux très divers, nous sentons l’appel à souligner et à révéler l’intrinsèque valeur religieuse de tous les aspects de la vie.

93. L’expérience religieuse qui nous a été impartie et que nous cultivons est celle du Dieu Créateur, qui a eu une action rédemptrice dans l’histoire. Il s’est fait Emmanuel, s’incarnant en Jésus de Nazareth. Grâce à l’Esprit qui nous a été donné, nous qui appartenons à la Vie Consacrée, essayons d’être la mémoire du style de vie de Jésus de Nazareth. Nous voulons être ses témoins jusqu’aux confins de la terre et la manifestation de sa passion pour Christ et de sa compassion pour les être humains en promouvant sous toutes ses formes le sentiment religieux qui imprègne la vie, la richesse fondamentale de ceux que nous servons et à laquelle nous participons nous-mêmes.

94. Pour nous, annoncer Jésus par notre vie, nos témoignages, nos actions, est la quintessence de notre vocation évangélique. C’est pourquoi, nous posons la question. Quels sont les changements nécessaires à notre système religieux, institutionnel et communautaire, pour que notre vie devienne plus évangélique ?



II - Inculturation

95. Si elle ne s’inculture pas dans les différents lieux ou contextes où elle est située, la vie consacrée ne pourra pas survivre, ni accomplir sa mission. Poursuivre dans un processus d’inculturation “fait de discernement et d’audace, de dialogue et de provocation évangélique” (VC 80) est une question vitale pour la vie consacrée et une preuve de son authenticité face au futur.

96. L’Esprit est en train de l’amener à se diversifier, à s’incarner, à se revitaliser. Ces processus d’inculturation sont exigeants ; mais, bien menés, ils mettent en relief les éléments originels du charisme de Fondation «Quelles propositions ferions-nous pour que cela devienne réalité ? Quels obstacles nous viennent des modèles traditionnels de gouvernement et de formation, spirituels et anthropologiques ?

97. Le visage de la vie consacrée est en train de changer. Se fait toujours plus nécessaire une communion pluri-centrale et inter-culturelle. Nous avons à apprendre le nouvel art de l’ecclésiologie de communion. Alors nous posons la question : quelle conscience de cette perspective apparaît dans les nouvelles structures de gouvernement, de formation, dans l’expérience pastorale, dans le langage culturel et spirituel ?



III - Vie communautaire, affective et sexuelle

98. La vie fraternelle en communauté est une réalité très originale de la Vie Consacrée. (VC 42,45-51). Il est difficile de bien la vivre. La “nouvelle vie consacrée” demande de “nouvelles communautés”. Quelles lignes devenons-nous suivre pour refonder psychologiquement et évangéliquement nos communautés en ces temps nouveaux ?

99. Dans le désordre amoureux propre à notre époque, notre vie communautaire peut devenir un élément de stabilité affective et de vie en commun inspirée par la foi et ouverte à une pleine réalisation. Les relations sont moins rigides et impersonnelles que dans le passé. On admet des manifestations adéquates d’affection et de tendresse et on prête davantage d’attention et de soin à notre condition physique et émotive. Cependant, la mentalité et le contexte, par trop érotisés, peuvent constituer un risque pour nous. Nous reconnaissons qu’avec le secours de la grâce nous pouvons parler de notre vie comme témoignage vivant du projet primordial de Dieu sur l’humanité : “au début, il n’en était pas ainsi” (Mt 19,8). De cette perspective naît une nouvelle forme de compréhension du célibat, comme conséquence évidente de la relation entre les genres et une vision plus intégrale de la sexualité. Que devrions-nous faire sur ce point ?



IV - Spiritualité

100. Nous faisons partie d’une humanité assoiffée de spiritualité. Le cri pour la vie dans l’Esprit s’exprime de multiples formes, qu’il faut détecter. Nos frères et nos sœurs attendent de nous, les personnes consacrées, un apport spirituel particulier, qui modifie notre langage, notre expérience de vie et notre mission. (VC 103). L’Esprit nous appelle à exercer notre ministère de maternité et de paternité d’une manière nouvelle, ouverte sur le futur, à entrer dans le dialogue inter-spirituel non seulement pour proposer et enseigner mais aussi pour écouter, accueillir et recevoir (NMI 56 et Gs 92). En cela consiste notre défi.

101. Le nouveau qui est en train de naître, bouge et s’affirme là où l’on cultive une bonne spiritualité. Il s’agit au fond de développer la foi et l’expérience priante de notre vie. Comment le faire? que faire pour que– par vocation et charisme – la vie consacrée continue à être un laboratoire de spiritualité, un espace de culture de l’esprit et de la spiritualité qui se trouve en tout ?



V - Partager entre les membres du peuple de Dieu et avec nos Pasteurs

102. La conscience de la réciprocité, propre à l’ecclésiologie de communion, nous amène à nous sentir liés à toutes les formes de vie chrétienne. Pour cette vie consacrée suscitée par l’Esprit, les laïcs se font, d’une manière spéciale, inspiration, appui et collaboration afin qu’elle soit menée à bien de manière rénovée et féconde ( VC 54-56 ; RDC 30-31).

103. La vie consacrée partage ses charismes avec les autres formes de vie chrétienne, notamment avec le laïcat, et, avec ses charismes, participe aux fonctions et aux ministères que d’autres réalisent. Située dans l’organisation fondamentale du corps du Christ, qui est l’Église, la vie consacrée – notamment la vie féminine et le laïcat - peuvent contribuer à générer de nouveaux modèles d’identité ecclésiale, qui demandent à être reconnus, encouragés et intégrés. A partir des expériences que nous sommes déjà en train de mettre sur pied, nous posons la question : quelles orientations devons-nous suivre dans cette ligne d’interdépendance et de mutuelle identification dans la forme de vie et la mission ?

104. La communion entre Pasteurs, laïcs et religieux se fait sentir chaque fois avec plus de force, comme une exigence intrinsèque de docilité à l’Esprit, qui garantit la relation organique ecclésiale. Sont ébranlés ou relégués au second plan les intérêts institutionnels et les visées empiriques. Les dynamismes d’information, de dialogue, de participation circulent au sein de l’organisation ecclésiale, dans laquelle les ministres et les charismes ont leurs places et leurs fonctions précises. De plus en plus on partage la spiritualité et la préoccupation du Royaume qui, en définitive, est en jeu.



VI - Capacité symbolique à partir de l’authenticité de notre vie.

105. Avec le temps, nous avons perdu la capacité symbolique. Le monde symbolique dans lequel nous vivons nous demande une sérieuse adaptation dans le domaine du signifiant. Le manque d’imagination ou la peur font de nous de simples conservateurs de signes désormais insignifiants, nous mettent au rang de simples objets de musée et de folklore. Les expressions justes qui manifestent les valeurs authentiques incarnées et vécues dans la vie consacrée, nous font défaut. Comme nous l’a rappelé l’Instrumentum laboris du Synode sur la vie consacrée “notre vie exerce à l’intérieur d’une société une fonction critique, symbolique et transformante”(IL 9). Cette fonction demande beaucoup de changements si elle veut se réaliser de manière parlante et efficace. Nous nous questionnons sur notre signification et nous nous demandons : Quel langage employer ? comment se présenter ? que transmettre ? comment vivre pour arriver à être signifiants ?


VII - La pauvreté et la souffrance des êtres humains

106. La vie consacrée qui veut être assurée de sa fécondité, doit se concevoir en termes de service, de présence et de solidarité avec les personnes qui sont dans la douleur ou la misère ; elle doit trouver les voies de la samaritaine qui cherche, avec tous les assoiffés, l’eau vive aux abords des sources, des puits de la mémoire et du bonheur. Et aussi pour accueillir les visages blessés sans oublier de lutter contre les systèmes violents et injustes qui sont à la base de leur malheur. Comment le faire ? Que dire sur ce défi ?

107. Le retour à la vie pauvre, solidaire et compatissante a toujours été un élément clé des processus de re-fondation dans l’histoire de la vie religieuse (VC 75 et 82). Nombre de personnes dans la société actuelle cherchent à vivre avec le superflu, lequel est la source irresponsable de la dégradation de la mère terre. A travers le vœu de pauvreté, appel est lancé par le Seigneur aux religieux à vivre en se contentant du nécessaire et si possible de l’indispensable. Cette option permet plus de générosité dans le partage et dans le don et la liberté d’obtenir et de demander. Comment la vie religieuse peut-elle aider à passer du vivre en fonction du superflu au vivre en fonction du nécessaire ?



VIII - Domaine du dialogue œcuménique et inter-religieux

108. Nous pouvons comprendre la mission comme le mouvement des peuples – poussés par l’Esprit – vers le Royaume de Dieu, en quoi la vie religieuse participe d’une manière particulière. Elle veut témoigner devant l’humanité du projet rédempteur du Dieu de l’Alliance et devenir pour les autres le symbole de la réponse fidèle à ce pacte. Le premier commandement de l’amour, de la solidarité, génère des relations d’Alliance entre tous les êtres humains, et s’exprime à travers un engagement concret pour la justice, la paix et la protection de la création. En ce moment de notre histoire, le dialogue de vie, communautaire, inter-culturel, religieux, œcuménique, a nom la mission ; c’est une question de vie ou de mort pour toute l’activité évangélisatrice et missionnaire de l’Église. Cette intuition existe depuis longtemps dans nos Instituts, et nous sommes en train de chercher de nouveaux modèles d’insertion missionnaire et de proposition évangélique.

109. La présence et l’action des religieux dans le cadre du dialogue aident la vie consacrée à élargir “ sa tente” (Is 54,2), et à mettre en place des réseaux de vie revitalisés. Renforcer ces présences, c’est réaffirmer la vie consacrée que l’Esprit suscite en notre temps. Quelles initiatives avons-nous à prendre pour donner à notre mission le visage d’un dialogue authentique ?



UN PROCESSUS À SUIVRE


110. Le Congrès est un instant dans l’histoire de la vie consacrée. Parviendra-il à être un moment significatif à l’intérieur d’elle-même ? Nous voulons prendre acte, et rendre grâce à notre Dieu, de ce que l’Esprit fait naître dans la vie consacrée aujourd’hui, au début de ce troisième millénaire. Il n’y a pas de doute qu’elle commence un processus qui s’ajoute à tous ceux qui ont été vécus durant les 16 siècles de son parcours.

111. La fidélité à ce que l’Esprit suscite parmi nous, nous amène à donner consistance continuité et garantie au processus commencé. Nous voulons, en conséquence, discerner, découvrir et proposer quelle formation peut garantir la continuité de cette nouvelle vie consacrée et quel type de gouvernement doit animer cette nouvelle étape du chemin de la vie consacrée.


I - Un gouvernement pour une transformation structurale

112. La vie consacrée a des structures, une organisation et un exercice de gouvernement qui
répondent à sa glorieuse histoire. Mais c’est le futur qu’il nous appartient de construire. Celui-ci requiert un changement de mentalité institutionnel profond, qui rende possible l’émergence de nouvelles institutions et formes de gouvernement dans laquelle la vie naissante ne se voit pas étouffée. La vie consacrée dans toute ses formes apparaît dans l’Église comme une série d’énergies qui n’ont pas toujours été mises à profit, parfois elles ont été réfrénées, d’autres fois. La réorganisation interne, non seulement de chaque Institut mais aussi de tous les Instituts, le dialogue entre les diverses congrégations et les perspectives de collaboration et d’unification, apparaissent clairement être les initiatives auxquelles l’Esprit nous conduit. Quelque chose est tout à fait certain : les structures doivent être flexibles et animées par le dialogue, la co-responsabilité et l’évangile. Que proposerions-nous dans cette ligne de re-fondation institutionnelle ? Que doivent faire les gouvernements religieux pour mettre en place ces institutions et ces œuvres en fonction de la mission ?

113. La vie consacrée dépend en grande partie de ses structures économiques. De l’argent dépendent en grande partie ses activités missionnaires, ses processus de formation, sa globalisation, mais aussi son contre-témoignage. Même si l’économie n’est pas le pivot de la vie religieuse, son influence a toujours été grande ; toutes les réformes ou nouvelles formes de vie consacrée ont toujours donné un relief particulier à la pauvreté et à l’économie. La complexité de l’économie mondiale, le système économique déséquilibré et injuste, ont une incidence notable sur les économies des Instituts. Que pouvons-nous dire sur ce fait ? Quels contours donner à une économie solidaire ? Comment organiser une économie au service de la mission ?



II - Une formation pour une nouvelle forme de vie religieuse

114. Nous voulons donner forme à une vie religieuse authentiquement “samaritaine”, c’est-à-dire, imprégnée de la soif de Dieu et constamment provoquée par la compassion. Notre responsabilité face à ce que l’Esprit fait naître parmi nous, exige de nous un discernement dans une communion active (VC 74); et un sérieux engagement dans la collaboration et la mise en place d’itinéraires de formation spirituelle qui rendent viables son développement et sa consolidation. Cette formation se fera dans la fidélité au critère donné dans l’Exhortation Post-Synodale de Vita Consecrata : “ La formation est une démarche vitale qui amène à se convertir au Verbe de Dieu jusque dans la profondeur de l’être et, en même temps, à apprendre l’art de chercher les signes de Dieu au milieu des réalités de ce monde ” (VC 68).

115. L’ecclésiologie de la communion se répercute dans les processus de formation à partir de diverses perspectives. Un modèle de formation conjointe émerge dans le Peuple de Dieu devant lequel nous ne pouvons rester indifférents. Dans des temps de fondation, d’autre part, la formation essaie “d’aller à l’essentiel”, au cœur, à la source de vie. Nous sommes dans un temps où l’ecclésiologie de la communion nous demande d’apprendre ensemble- toutes les formes de vie réunies - ce que signifie “Christi fideles”. Seulement à partir de là, nous pourrons nous comprendre en corrélation charismatique. Comment ces perspectives se répercutent-elles dans la forme des projets de formation ?


CONCLUSION


116. Nous avons bien le sentiment que nos formes de vie religieuse sont dans une période de transition ; mais notre cœur est brûlant, toujours assoiffé, et nous poursuivons notre quête de l’eau vive. Nous y parvenons quand nous sommes capables de L’écouter tandis qu’Il nous parle sur le chemin. Nous faisons alors l’expérience d’un amour passionné pour Jésus et d’une compassion amoureuse pour nos frères et nos sœurs. Alors nous sommes à même de le rencontrer et de le reconnaître publiquement comme le “sauveur du monde” (Jn 4,42). Sachons bien que ce feu peut s’intensifier ou s’affaiblir, se propager ou être réduit à rien, se communiquer ou se retirer. Il peut aussi s’éteindre.

117. Nous ne voulons pas nous reposer sur un “passé glorieux”. Nous voulons “regarder vers l’avenir où l’Esprit nous envoie pour faire encore avec nous de grandes choses” (VC 110). C’est pourquoi nous ne sommes pas intéressés par la défense de supposés droits acquis ; nous voulons servir davantage et mieux, dans la fidélité à notre vocation ; ainsi purifiés, nous retrouvons une nouvelle fécondité. Alors, nous devenons crédibles dans une Église qui renaît en “ce début de nouveau millénaire”. C’est une tâche exigeante.

118. Nous comptons sur “la promesse de l’Esprit qui fait toutes choses nouvelles et qui intercède pour les croyants selon les vues de Dieu”. Nous avons la certitude intérieure de la présence compatissante et vivifiante de Marie, symbole de tout sein fécond, de toute vie qui naît. La vie consacrée, à chaque étape du chemin de son histoire, a invoqué et regardé Marie. Par elle et avec elle, elle a vécu ses jours de nouvelle Pentecôte. Sous sa protection, tous les consacrés demandent à l’Esprit “le courage de répondre aux défis de notre temps et la grâce d’apporter aux hommes la bonté et l’humanité de notre Sauveur Jésus Christ” ( cf Tt 3,4 ; VC 111).

Ultima modifica il Giovedì, 05 Febbraio 2015 16:53

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