Passion pour le Christ, passion pour l’humanité, vécues en communauté

Pubblicato in Missione Oggi
FRATERNITE SACERDOTALE
Passion pour le Christ, passion pour l’humanité, vécues en communauté.
Quelles contributions notre vie communautaire apporte-t-elle à l’Europe ?
Qu’offre la vie commune des religieux et religieuses à l’Europe ?

Peu de choses. Soyons lucides.
Comme nos pays d’Europe, nos communautés sont traversées par les difficultés qu’ont tous les groupes et toutes les institutions en Europe : difficultés de compréhension inter-générations et de transmission (d’autant plus que les jeunes sont rares et ne nous ressemblent pas au point de vue des manières de vivre et de faire), conflits de pouvoir et de rivalités … Elles sont aussi traversées par les difficultés que rencontrent tous les européens: problèmes d’interculturalités, problèmes d’individualisme, de manques de solidarité, peur de l’inconnu…Nous sommes comme tout le monde et dans ce monde, pas seulement des spectateurs désengagés ou simples évaluateurs.

Pour paraphraser Elie, nous ne sommes pas « meilleurs » que nos pairs et n’avons pas grand chose à offrir dans ce projet grandiose qu’est la construction européenne et qui, il faut bien le dire, ne nous attend pas vraiment… sauf… que nous sommes conscients de nos limitations et que nous aspirons à les dépasser, que nous avons la conviction qu’il faut aller plus loin dans la fraternité et que notre situation actuelle n’est ni « juste » ni bonne. Elle est facile et réaliste mais ce n’est pas à cela que nous nous sommes engagés quand nous avons fait profession d’être religieux/ses et de suivre le Christ. Nous pressentons que nous ne pouvons pas nous résigner au nom du réalisme à ce que nous vivons, la VR étant un chemin permanent de conversion.

La vie religieuse est toujours soumise à cette tension d’aller vers plus de fraternité, c’est là le travail de l’Esprit Saint mais celui-ci requiert de notre part une disponibilité toujours plus grande à son œuvre pour devenir des passionnés de Dieu et des humains. Ce que nous pouvons offrir est alors ce souci d’avancer et de ne pas nous contenter de ce qui est maintenant, souci d’aller plus loin que la simple non agression polie entre nous et la visée impérieuse de la fraternité, par delà nos frères et sœurs religieux, pour nous ouvrir à toute l’humanité en commençant par nos voisins. C’est ce que nous ont rappelé les textes du Magistère en particulier la déclaration sur la vie fraternelle en communauté « congregavit nos » de 1994 ou « Vita consecrata » de 1996 (N° 46) tout en nous alertant sur les impasses du communautarisme qui annule la distance entre individu et communauté et impose une logique d’enfermement identitaire.

Notre vie commune, même à travers ses limites, fait apparaître plusieurs étapes possibles dans les relations entre nous, étapes qui s’emboîtent et se complètent ou qui caractérisent plus spécifiquement l’une ou l’autre de nos familles religieuses car il existe des différences entre nous liées à nos traditions fondatrices. Etapes qui ont toutes une grande valeur et dont aucune ne peut être sous estimée. Retenons en cinq :

- l’étape de la non-agression active qui fait de la VR une école de paix. Cette étape est indubitablement un progrès par rapport au règne de la violence de notre société ou de la concurrence effrénée induite par la mondialisation néo-libérale, progrès auss par rapport au passé de guerres entre nations d’Europe. Elle n’est jamais vraiment assurée (violence et concurrence peuvent avoir des formes déguisées nombreuses dans la VR) mais nos règles, nos rituels, nos Ecritures nous poussent vers la paix. Le Ressuscité ne nous rencontre-t-il pas en proposant la paix ? la paix n’est-elle pas le shalom que Dieu propose à travers Isaïe et à travers l’Apocalypse ? Cette non-agression est à apprendre et à vivre dans le quotidien de nos différences ; ces dernières ne sont pas abolies ou à abolir mais à transformer : différences des âges, des caractères, des cultures (de plus en plus, la VR est internationalisée). Quotidien qui est aussi marqué par les rapports de pouvoir (qui mettent en tension le vœu d’obéissance) et d’inévitables rivalités ; toutes ces réalités qui constituent souvent le réel de nos vies de communautés mais qui appellent aussi à un dépassement. Ne serait-ce pas là qu’en est l’Europe ? et c’est déjà une grande victoire par rapport au passé fait de guerres, de violences et de mépris plus ou moins policé, victoire qui est l’origine du projet de l’UE. Et cela ne s’est pas fait sans peine…et reste fragile (groupes extrémistes intolérants nationalistes ou religieux) Il s’agit donc de devenir conscients de cette évolution positive, de cette chance pour ne pas sombrer dans l’euro pessimisme facile et réducteur et dans le même temps garder mémoire du risque toujours présent d’un retour de la violence ( la mémoire du terrible, écrit P. Ricœur, nous est absolument indispensable). En langage chrétien, le défi est de reconnaître, dans cette paix qui se cherche et se gagne peu à peu, dans nos communautés et dans nos pays, un travail de l’Esprit et rendre grâce pour cela dans notre vie de prière et dans nos engagements apostoliques. Lc 1,78-79 : cantique de Zacharie, Jésus soleil levant venu nous conduire sur le chemin de la paix.

- l‘étape de la « convivance » qui fait de la VR une école de « l’être-ensemble » : on peut non seulement être non agressifs mais on peut se réjouir ensemble et d’être ensemble. C’est ce à quoi renvoie ce mot de « convivance ». Trouver agréable (ce qui ne veut pas dire facile et irénique) de vivre ensemble et trouver dans cet être-ensemble un « plus » de vie, une stimulation même si nous ne nous sommes généralement pas choisis. Nos communautés ne sont-elles pas un lieu de soutien, d’aide tout autant matérielle, corporelle quand le grand âge vient que culturelle et spirituelle (et aucune dimension n’est à mépriser), qui permet à chacun d’être moins seul et donc de s’ouvrir à la vie de manière plus large, plus spirituelle. Du moins, c’est le défi à relever et il nous faut reconnaître le plaisir de la vie commune, plaisir qui ne s’enferme pas sur lui-même mais laisse pointer quelque chose de l’espérance. N’est-ce pas, de manière analogique, ce que l’Europe attend du grand marché, de règles communes pour les échanges et la production, de la mise en commun de moyens et de stratégies et qui est vécu de manière plus intense par les membres de l’UE? N’avons nous pas progressé dans cette « convivance » et dans un meilleur niveau de vie depuis que nous avons fait l’Union européenne ou développé des rapports de bon voisinage avec les pays voisins de l’UE, tout en étant conscients que cela s’est parfois fait dans la douleur (exemple du monde agricole) ? avec le risque de marginaliser ceux qui ne sont pas dans l’UE…Là encore, il faut nous réjouir et savoir rendre grâce pour ces avancées, mais aussi oser montrer notre bonheur d’être religieux en attestant que la mise en commun est source de richesses plus grandes que celles que procureraient des rivalités et espérer que cela sera contagieux .

- la troisième étape est celle du cosmopolitisme (cf. E. Kant) qui fait de la VR une école d’ouverture. Elle consiste à s’ouvrir à l’existence de l’autre sans perdre sa propre identité. C’est l’ouverture hors de nos propres évidences, de nos propres conceptions, au delà de la « mêmeté » (Ricoeur). Etape plus difficile que les précédentes et que nos communautés ont souvent plus de peine à mettre en oeuvre, n’étant hélas parfois que des regroupements d’isolats, d’individualités, bloquant l’originalité de chacun dans une forteresse de solitude. Ce cosmopolitisme, chance de la vie commune, doit se concevoir déjà à l’intérieur de la même culture nationale entre générations différentes (et entre cultures générationnelles) mais il se vit aussi dans nos communautés où les frères et sœurs sont de nationalités différentes, ce qui est de plus en plus fréquent. Ce cosmopolitisme invite à s’intéresser à ce que vit l’autre, à ce qu’il apporte comme expériences originales et questionnements. Cette attitude ouvre les intelligences et chacun des membres de la communauté. Cette étape n’est pas encore très généralisée en Europe. La plupart de nos concitoyens, en Europe, restent encore souvent fermés dans leurs univers alors que la découverte de l’autre pourrait, non les faire devenir comme l’autre, mais devenir riches de la rencontre avec l’autre. C’est le plaidoyer d’Ulrich Beck (cf. son livre «l’empire européen ») qui nous ferait devenir tous ensemble, dans la diversité de nos histoires, bénéficiaires de l’autre et non pas perdants à la condition que nous ne restions pas enfermés dans nos nationalismes peureux. La peur de l’autre-étranger, ennemi héréditaire de naguère, n’est certes pas facile à transformer en amitié mais l’intérêt (culturel et économique) de le connaitre, de l’accueillir dans sa différence est fertile. C’est l’aventure pentecostale (Ac 2) dont nous pouvons dans nos communautés, par notre expérience vécue et les solutions que nous avons imaginées pour dépasser nos difficultés (dans l’intergénération ou notre internationalisation par exemple), attester la vitalité contribuant ainsi à la faire désirer.

- La quatrième étape est celle de l’hospitalité avec ce qu’elle suggère comme relations réciproques, comme déplacement, comme coût aussi et qui fait de la VR une école de l’accueil. L’hospitalité conduit à faire entrer l’autre plus profondément dans notre intimité, l’autre : image du Christ, l’autre : riche de son expérience (y compris de ses faiblesses), l’autre réel dans sa complexité et son originalité qui souvent dérangent. L’hospitalité est une de nos grandes traditions : elle procure le réconfort, le soin, la reconnaissance de l’autre et un souci pour lui. Cette hospitalité ouvre ainsi à la lutte contre le mal en faisant de l’autre notre prochain (Jabès). Nos communautés religieuses sont plus ou moins hospitalières pour l’étranger, selon leurs styles propres, mais nous avons en commun de pratiquer l’hospitalité au moins des frères et des sœurs les uns pour les autres, ouvrant la spécificité et l’originalité de chacun à celles de l’autre. L’Europe est sur ce défi bien en difficulté. Quel intérêt, quel accueil les européens manifestent-ils pour l’autre européen, pour sa culture, pour ses traditions ? Sans même parler de la difficulté à accueillir dans nos économies, dans nos villes et nos institutions de gouvernement le ressortissant d’un autre pays d’Europe. Ni même de l’aide mutuelle pour relever les défis économiques de la mondialisation. L’hospitalité appelle à dépasser la méfiance, or il semble que beaucoup en Europe n’ont pas encore quitté cette attitude frileuse, même au sein de l’UE (ce qui explique pour une part le rejet du traité en F et NL). Nos tentatives d’accueil, même modestes, dans la VR semblent monter que cela est possible, que cela est reproductible et élargissable. Nos modestes pratiques peuvent donner alors à penser et peut-être donneront-elles le goût d’aller plus loin dans l’ouverture à l’autre.

- La dernière étape est celle de la fraternité (cf. J. Ratzinger, Frères dans le Christ, Le Cerf, 1962) . C’est l’idéal que nous cherchons à vivre dans nos communautés soit selon le modèle des premières communautés chrétiennes (Ac) soit celui des disciples autour de Jésus…Non seulement pour le plaisir, l’efficacité ou l’ouverture intellectuelle, mais pour suivre le plus près possible le Christ et signifier la nouvelle économie introduite par la Résurrection, celle qui a poussé les chrétiens à vivre en frères et à abandonner la logique du chacun pour soi et de la rivalité (même si cela a été difficile : cf. Pierre, Paul et Jean) et à entrer dans la confiance (cf. les problèmes d’Ananie et Saphire) . Fraternité qui fait alors de la VR une école de communion comme le dit « Repartir du Christ » (N°28) et qui se construit sur la mise en commun de nos faiblesses et de nos espérances plus que sur les affirmations et les points de force. Fraternité qui se déploie fondamentalement sur le pardon reçu du Christ et multiplié entre nous, le pardon véritable ciment de la vie commune au-delà des sympathies et des connivences. La fraternité est exigeante, jamais acquise, - espoir en clair obscur comme l’écrit C. Chalier- mais elle est l’horizon que vise la vie religieuse. L’Europe semble loin de cet horizon. Des réconciliations restent à faire et des reconnaissances mutuelles doivent être manifestées. Chacun des peuples qui compose l’Europe doit être reconnu dans son histoire et sa culture (reconnu ne veut pas dire que cela soit sans discussion ou remise en cause) et reconnaître la valeur des autres, et cela concerne aussi chaque européen de manière personnelle. La confiance n’est pas encore véritablement au rendez-vous en Europe et la rivalité qui pousse à la minimisation du communautaire - et même de l’inter- gouvernemental- est souvent plus forte que le vouloir vivre ensemble pour affronter l’avenir.

Ces passages vers une relation plus fraternelle à laquelle tendent la vie religieuse et ses institutions, et à laquelle parfois elles parviennent, dessinent un projet européen fort. Projet qui relève des politiques et bien évidemment pas des religieux ou religieuses très minoritaires. Il ne sert à rien d’être des donneurs de leçons : personne ne les écoutera dans l’univers sécularisé qu’est l’Europe et cela aura même un impact négatif ; comment donc contribuer à une avancée ? A travers ces cinq étapes nous avons déjà mis en valeur la nécessité de rendre grâce pour ce qui a déjà été réalisé dans l’Europe de 2008 et ce « rendre grâce » devrait nous encourager nous-mêmes à mieux vivre ces dimensions de paix et de « convivance ».

Notre vie commune - et les institutions qui la permettent- peut aussi donner à penser qu’il est possible d’aller plus loin dans le cosmopolitisme, l’hospitalité et la fraternité. Que cela est possible et que cela rend heureux, que cela contribue à accomplir notre humanité. C’est en cela que la VR peut être signe et moyen de communion, sacrement de communion, qu’elle peut aller au-delà de la fonction dénonciatrice du prophète qui nomme ce qui va mal pour incarner, même modestement, la fonction annonciatrice de cette posture prophétique que relaie la vie religieuse, fonction qui montre qu’une autre manière de vivre est possible et fertile pour tous et toutes. Mais pour que notre prophétisme soit plénier, il nous faudra mettre en œuvre la troisième fonction du prophète: la visitation car le vrai prophète ne peut se contenter de dénoncer ou d’annoncer ; Dieu le pousse au-delà.

Cette troisième fonction exige de nous d’aller à la rencontre de nos contemporains et de nous mettre à leur service. Non en nous faisant des prosélytes de l’idée européenne, ce n’est pas notre mission, ni seulement par le témoignage muet car nos concitoyens ne connaissent plus vraiment comment décoder ce témoignage (la déchristianisation et la sécularisation en sont les causes). Il nous faut rendre compte à ceux par qui nous acceptons d’être rencontrés, par la parole et les actes, de ce que nous vivons et cela peut être inspirant pour ceux qui cherchent une vie bonne et juste (comme écrit P. Ricoeur). Cette visitation qui renouvelle notre vie apostolique peut mobiliser nos œuvres, nos réseaux, nos communautés européennes et nos savoir-faire pastoraux ; cela nous conduit à travailler avec d’autres à l’art de devenir européen en offrant à la palette des valeurs européennes notre espérance de communion fraternelle et nos modestes expériences dans ce domaine.

Dans cette perspective nous ne sommes pas extérieurs à un monde que nous voudrions seulement transformer, nous sommes en chemin avec lui, nous transformant avec lui mais à travers un écart fertile que la vie commune institue. Ecart fertile dont les Actes des apôtres nous font le récit enthousiaste.

Questions :
- Comment recevez-vous ces propositions pour caractériser les formes et étapes de la vie communautaire ?
- Comment être communautairement acteurs de paix en et pour l’Europe? Quels obstacles et chances ? Comment être acteurs de fraternité ?

fr JC LAVIGNE op


Intervention N° 2

Si la fraternité est l’horizon que vise la VR, la vie commune aide aussi chacun et chacune des religieux à avancer en lui donnant des moyens de suivre le Christ (moyens que sont les règles, les traditions, les vœux et les procédures institutionnelles qui organisent le pouvoir…mais aussi les autres membres de la communauté) et de passer avec Lui de la mort à la vie. Parfois, hélas, des blessures peuvent être produites par nos difficultés à vivre évangéliquement ensemble… mais le propos de la vie religieuse est à l’opposé de cela et est un plaidoyer pour une vie plus intense. Ce propos, dans la mesure où il met en valeur un certain nombre de postures, peut être notre contribution à la construction de l’Europe. A une condition : que nous nous insérions dans les espaces de dialogue et de discussion sur l’avenir de l’Europe, ce qui induit deux attitudes :

- que nous sachions rendre compte non seulement de l’espérance qui nous habite mais de ce que nous cherchons à vivre dans le quotidien
- et qu’un grand désir de débattre nous hante, désir inséparable de celui d’écouter et non d’assommer l’autre sous nos arguments.
- N’est-ce pas là l’apostolicité de notre vie religieuse (quelle que soit la forme canonique de celle-ci) ?

Nos prédications, nos œuvres, nos manières d’être présents au monde en particulier des plus fragiles, tout comme le fait d’inviter des hommes et des femmes à rejoindre nos communautés, sont des manières de proposer des valeurs et des pratiques à l’Europe mais notre vie ensemble, la vie commune et fraternelle, offre par elle-même des pistes pour le chantier européen, par delà nos qualités et nos limites personnelles. Nous sommes, dans cette Europe qui se cherche, parmi d’autres européens et ce que nous vivons est d’ores et déjà une manière de construire l’Europe. Notre existence en communauté alors que chacun, en Europe, vit pour lui-même et son groupe restreint est d’ores et déjà une interrogation qui peut inviter à réfléchir sur les styles de vie possibles et souhaitables.

Je retiendrai ici cinq postures qui caractérisent notre vie religieuse et qui font de nous des citoyens européens animés d’un certain idéal, un parmi les nombreux idéaux des européens ; cinq postures qui peuvent aussi être des propositions pour une Europe nouvelle, des contributions aux débats –formels ou informels- à travers lesquels se construit l’Europe et un peu l’être-européen. Par posture il faut entendre non seulement des valeurs mais des mises en œuvre de celles-ci, des manières d’être, non pas des attitudes acquises, mais la recherche incessante pour faire de celles-ci des réalités et des pratiques quotidiennes. La vie commune est moins une manière de faire qu’une organisation pour devenir.

- la force : la vie en communauté permet de dépasser un peu nos faiblesses personnelles: elle nous offre du soutien, permet plus d’assurance et donne plus de force à chacun (y compris en matière économique) par la dimension collective, par « l’être-ensemble » choisi librement. Non pas la force des puissants, ou le pouvoir des « grands de ce monde » contre les autres, les moins astucieux ou les plus fragilisés, mais celle dont parle saint Paul à propos de la folie de la croix et qui bénéficie à tous. Force (non blocage) qui s’étaye par la fraternité et qui est faite de relances de questionnements, d’encouragements…et que nos communautés offrent le plus souvent quand elles se soucient du bien commun qui est le bien de chacun et de tous, qui est plus que la somme des intérêts individuels. Cette force gagnée à travers la vie commune est une disqualification du chacun pour soi, de la compétition pour être le meilleur en écrasant les autres.

C’était sur une telle logique que l’idée de l’Union européenne s’était construite, inscrivant en son cœur la visée du bien commun européen (à travers par exemple la Haute autorité puis la commission voulues hors du système du rapport de force politicien) mais celle-ci est souvent oubliée au profit des rivalités nationales ou des défenses de souveraineté pas toujours fertiles, ce qui fragilise les actions des états membres (par exemple en matière diplomatique ou d’aide aux pays en voie de développement) et stérilise des dynamiques. Les protectionnismes, les luttes pour tirer profit des autres, pour ne pas s’associer, ne font pas progresser l’Europe ni le bonheur des européens ; ils disqualifient le projet européen comme alternative concrète et pertinente face à la mondialisation à « l’américaine ».

Pour toute l’Europe, la vie commune des religieux et religieuses peut attester que la coopération, la mutualisation de nos compétences et de nos questionnements est une stratégie efficace et donc utilisable : la logique de la concurrence n’est pas la seule possible. La rivalité conduit rarement au bien de tous et à une espérance partagée face à l’avenir ; elle conduit plus sûrement à la mort des faibles.

- le lien : nos vies religieuses reposent sur le choix libre de la solidarité entre nous et sur le partage de ce que nous avons et de ce que nous sommes : mise en commun financière, culturelle, spirituelle… mise en commun de notre temps et de nos centres d’intérêts, de nos doutes, de nos relations. Mises en commun jamais faciles car nos caractères sont différents, nos capacités à nous exposer aux autres toujours insuffisantes, nos dialogues rarement faciles et la confiance jamais acquise définitivement. Tout ceci est alors à construire et reconstruire, patiemment ; c’est ce qui pousse nos communautés à rechercher l’unité. Nos vies religieuses sont aussi des lieux où tente de se vivre l’accueil de nos fragilités, de nos handicaps, de nos limites, de nos maladies, de l’âge avancé… avec bien évidemment des limites liées à nos moyens humains et techniques. Ce lien nous permet aussi d’entendre en profondeur les cris des exclus, des non intégrés (migrants, étrangers), des rejetés, des sans liens et des humiliés et de s’en rendre proches et solidaires (c’est là où nous entraine le vœu de pauvreté). Ce souci que nous avons du lien entre nous et avec ceux qui n’ont pas les connections sociales nécessaires pour réussir peut construire, dans sa dynamique, un paradigme de la vie bonne et juste en Europe et une provocation pour nos communautés à être des tisseurs de liens par delà les frontières nationales.

L’Union européenne a un certain souci pour ce lien : échanges entre des groupes (des jeunes, des professionnels) de nations différentes, politiques régionales pour diminuer les écarts économiques, les politiques structurelles, coopération avec les pays en voie de développement… mais la promotion du lien social quotidien, la solidarité sociale, la lutte contre les pauvretés et les exclusions sociales restent du ressort de chaque état. L’Europe sociale est encore loin et elle investit peu dans cette promotion du lien, élément néanmoins central dans le projet commun d’Europe. Au niveau de l’Europe dans son ensemble, les mécanismes de solidarité sont peu nombreux. Il y a là un champ d’action et de protestation que la vie religieuse nous appelle à investir : migrations, discriminations, droits des personnes…en en appelant à des changements de politique –ce qui relève de la justice- et en mettant déjà en œuvre dans nos communautés ces systèmes de tissage et d’accueil des « déconnectés » de la modernité, ces liens qui construisent l’amitié (un autre mot pour dire la charité) , qui rendent la vie plus digne et plus agréable pour tous et toutes.

- La recherche de vérité : la vie commune est avant tout vérification et authentification de nos désirs de vivre à la suite du Christ, bien au-delà de nos petits mensonges du quotidien et de nos « cinémas » ou de nos mesquineries. La vie commune, dans cette perspective, est une marche à la suite de Celui qui nous dit « je suis le chemin, la vérité et la vie », les trois dimensions se nouant en une seule dynamique dans nos vies personnelles et communautaires. On ne tient pas en communauté si nos discours sont trop rarement conformes à nos actes, si nous restons dans l’illusion sur nous mêmes, si nous restons dans des rêveries pieuses, alors que nos actes sont loin de nos discours ou de nos rêves. La vie ensemble permet de sortir des apparences (ou du moins le permettrait si la peur ne venait pas tout gâcher). Notre vie commune nous aide à entrer dans la vérité sur le chemin de conversion qui reste à parcourir, chemin toujours à reprendre et pour lesquels les autres sont essentiels, des aides indispensables. Cette vie ensemble postule aussi que chacun cherche à être vrai face aux autres et à lui-même pour être vrai face à Dieu… et cela n’est pas simple et demande de la patience et du respect.

Proposer la vérité pour la construction d’une Europe juste et bonne suggère que le mensonge n’est pas nécessaire pour vivre. La vérité a rarement bonne presse dans le monde politique, le vrai n’est pas souvent le politiquement correct. Or il n’ait point besoin de la démagogie ou de manipulation pour avancer, par exemple, en en appelant aux réflexes nationalistes, à la peur des migrants, à l’esprit revanchard, aux inimitiés ancestrales… Force est de constater que cela reste très peu présent dans les comportements gouvernementaux qui restent bien souvent dans l’obscurité, le manque de transparence, les promesses flatteuses rarement tenues. Or la vérité rend libres à la différence de la démagogie et de la manipulation. La recherche de vérité ouvre la voie au débat démocratique qui est recherche à travers le débat du mieux ou de ce qui se rapproche du bien et à de vraies réconciliations (par exemple à travers une lecture commune d’une histoire conflictuelle).

Dans le même sens, la pratique de la vérité invite, dans le cadre de l’UE, à ne pas utiliser la commission de Bruxelles comme bouc émissaire pour masquer des refus de responsabilités politiques. Elle suggère de pratiquer le plus possible le débat démocratique et non le jugement technocratique qui refuse les points de vue citoyens pour avancer dans le projet de l’UE.

La vie commune des religieux(ses) peut être un témoignage - verbo et exemplo- de la pertinence d’une recherche fraternelle de la vérité pour vivre une vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes (en reprenant encore P. Ricoeur).

- la générosité (la première des vertus pour Descartes : « passions de l’âme, 1649, n° 153) : la vie commune est un appel permanent à perdre quelque chose de son égo au profit d’une plus grande présence à Dieu et aux autres, à la suite de Jésus qui se donne jusqu’à en mourir pour l’humanité. Elle ne conduit pas à l’effacement de chacun mais propose de renoncer aux enfermements sur soi-même, de donner ce qu’on a et ce qu’on est pour qu’un espace où Dieu puisse advenir soit libéré. La vie commune est école d’un lâcher prise de plus en plus radical pour se laisser approcher. Etre généreux est moins donner que de se laisser rejoindre par le cri des autres, proches ou lointains, Dieu ou le frère et ne pas se dérober (1Jn) à leurs demandes. La vie commune requiert cette attitude et devrait la favoriser car elle est la source d’un dépassement permanent vers le Dieu vivant. La peur n’est plus de mise et l’égocentrisme ou le calcul non plus. Cependant la réalité vécue dans nos communautés n’est pas sur ce plan toujours une réussite. Il y a là des conversions à vivre de manière urgente.

Les difficultés expérimentées en communauté en ce domaine se retrouvent à l’échelle de l’Europe et de son projet. Pour que l’Europe devienne un continent fraternel, soit dans la forme de l’UE soit d’autres formes, il est nécessaire pour chaque Etat d’abandonner un peu de souveraineté pour en retrouver plus avec les autres états européens et accéder ensemble à un espace plus prospère et heureux. En s’associant avec les autres et en acceptant les règles du jeu communautaire chaque pays accède à des opportunités nouvelles, à un plus grand rayonnement dans l’espace communautaire, à une vie meilleure (c’est ce qui explique pour une part le désir de rejoindre l’UE de certains pays)…Or nous sommes loin de cette situation et la priorité au chacun pour soi peureux reste l’attitude dominante ; c’est elle qui explique les tensions assez constantes pour défendre étroitement des intérêts nationaux au détriment bien souvent du bien de tous et même au détriment de celui de chacun des états en définitive. Paradoxalement la générosité met sur la voie du gain, mais le gain pour tous.

La VR est là devant un défi tant pour elle que pour l’Europe : elle doit démontrer par le bonheur de ses membres et leur avancée spirituelle (dans l’humanité de chacun) que la générosité et le rejet de l’égoïsme sont des manières d’être efficaces et pertinentes.

- le rituel : la vie commune des religieux(ses) se fonde et se célèbre à travers la liturgie et nos pratiques spirituelles. Elle est prière commune à Celui qui donne la vie et réponse à Son appel. La VR est ainsi soutenue et avivée par ce qui lui est radicalement externe (qu’on appelle la transcendance) et qu’elle confesse comme tel. La vie commune des religieux(ses) reçoit son être d’un Autre et pas seulement de ses membres, même pleins de bonne volonté, de générosité militante et d’exquise politesse. La VR dit cet au-delà d’elle-même et le nomme source de sa joie, de son espérance et de son être le plus essentiel, bien évidemment selon des modalités et des discours propres aux charismes de chaque congrégation. Elle ose aussi dire que cet au-delà a un Nom, qu’il s’est compromis dans l’histoire des humains et continue à le faire et que cet Autre vient à la rencontre de notre humanité, personnelle et collective et que nous pouvons dès maintenant goûter sa présence..

Les Européens ne sont pas unanimes dans la nomination de cette transcendance ni dans le besoin d’une nomination publique de la place de cette transcendance dans leur vécu quotidien (débat à propos de l’origine des valeurs européennes). Pour certains l’Homme (et ses droits) suffit, pour d’autres ce sera le sens de l’histoire, pour d’autres un Dieu et ces derniers seront différents les uns des autres quand il s’agira de préciser qui est ce Dieu. On ne peut cependant pas tenir à la construction de l’Europe sans lui reconnaître une « âme » c’est ce que disait J. Delors en 1994 « si dans les dix ans nous n’avons pas réussi à donner une âme, une spiritualité à l’Europe, nous aurons perdu la partie » (répété en 1999 à la cathédrale de Strasbourg).

Cette reconnaissance d’une « âme » de l’Europe passe nécessairement par la plurialité, la polymorphie, la prise au sérieux de la diversité des points de vue et des systèmes de nomination de la transcendance. Cette prise au sérieux nous oblige à entrer dans ce concert et à dialoguer. Nous ne pouvons pas déserter et avons à risquer une parole collective (donc plus forte même si elle est moins médiatique) et pas seulement individuelle, parole vécue et dite, pour que l’âme de l’Europe soit rayonnante et source de comportements fraternels. Cette parole ne peut se contenter d’être seulement éthique (cependant indispensable) mais elle doit viser à proposer une espérance joyeuse à un continent qui doute de lui et de l’avenir, quelque chose qui a à voir avec l’horizon de sens de Ricoeur.

Il ne s’agit pas de vouloir réenchanter le monde mais de vivre pleinement une relation avec le Christ et les frères et d’oser – de manière respectueuse pour les autres- dire quelque chose de cette relation, de la célébrer. Cela constituera une proposition forte pour l’Europe que nous espérons.

Ces cinq postures ne dessinent pas un paysage complet ; chacun et chacune, selon son charisme, a à faire l’inventaire de ce que notre vie fraternelle peut faire advenir. Mais la VR n’est pas une manière archaïque d’exister ; son parfum ancien peut, en se mêlant à celui des autres européens, contribuer à faire de l’espace européen un lieu où l’aventure de chacun et de tous a du gout, un espace où notre Dieu lui-même se donne à goûter.

Questions :
- comment recevez-vous ces propositions ? quelle est la posture la plus essentielle pour relever les défis de l’Europe ?
- quel héritage pouvons-nous partager avec nos frères et sœurs d’Europe ?


Fr Jean Claude Lavigne

Né le 24.05.1951 en France
Entre dans l’Ordre des dominicains en octobre 1974
Prêtre en juillet 1987
A exercé de nombreuses responsabilités dans l’Ordre (en Afrique et en Europe): père maitre, prieur, directeur général d’Economie et Humanisme, directeur d’Espaces (Europe)… est actuellement socius du prieur provincial de la Province de France.
Diplôme de l’Institut d’Etudes politiques (Lyon), Docteur en géographie (EHESS, Paris 1) et docteur en Economie (Lyon 2).
A travaillé en Inde, Indonésie et dans différents pays d’Afrique.
Auteur de nombreux ouvrages d’économie et dans le domaine plus spécifiquement spirituel :
- Le prochain lointain, éditions du Cerf (traduction espagnole chez Santander)
- Habiter la terre, éditions de l’Atelier (traduction portugaise chez Instituto Piaget)
Ultima modifica il Giovedì, 05 Febbraio 2015 16:56
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10-07-2024 Domenica Missionaria

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10-07-2024 I missionari dicono

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