AEFJN: La justice socio-economique dans le Bible

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On pourrait se poser la question : pourquoi s’intéresser encore aujourd’hui à des normes édictées quelque part en Moyen-Orient, il y a 25 siècles, en réponse à des situations locales très concrètes ? De fait toutes les collectivités humaines ont été confrontées au cours de leur histoire à des situations socio-économiques qui ont exigé la mise en place d’une justice plus ou moins contraignante et plus ou moins efficace. Il s’agit là d’un phénomène culturel universel.

En principe ces normes, qu’il s’agisse de pratiques coutumières traditionnelles ou de lois écrites, cherchent à intégrer dans la vie de la collectivité la reconnaissance des droits de chaque membre du groupe. Mais il faut reconnaître qu’en bien des cas, ce qu’on devrait pouvoir appeler justice socio- économique fige en quelque sorte ou même sacralise des discriminations de tous genres, des inégalités sociales ou des abus de pouvoir. Quoi qu’il en soit, ce qui fait l’originalité du peuple de la Bible au plan socio-économique, c’est que les normes qu’il a élaborées au cours des siècles se présentent de manière formelle comme dictées par Dieu lui-même, sont censées refléter sa propre justice et ont de fait été acceptées comme telles.

En d’autres mots, le projet de société économique proposé par les textes bibliques est basé sur une vision théocratique du statut de la terre d’Israël et de ses habitants. La réalisation de ce projet exigeait de la part de ceux-ci un acte de foi qui était soumission au Dieu de l’alliance.  Et c’est ce qui lui donne un intérêt permanent. Une Parole nous est encore adressée aujourd’hui à travers les décisions juridiques prises par des hommes confrontés à des situations socio-économiques qui d’une manière ou d’une autre se retrouvent de nos jours.

La relation de l’homme à la terre

Toute réflexion sur la justice économique dans l’ancien Israël doit partir d’une donnée fondamentale de l’anthropologie biblique : la relation de l’homme à la terre. 

Il a été modelé par Dieu à partir d’un peu de terre, terre d’où il tient son nom. Adam, terme collectif qui désigne les êtres humains, est apparenté à adamah, la terre. Et la vie de l’homme, personnelle ou collective, dépend essentiellement des richesses de cette terre et de ce qu’elle produit. D’autre part, la terre est et restera toujours la propriété de Dieu. C’est lui qui l’a créée, c’est lui qui la gouverne. Il possède sur elle un droit absolu et en dispose comme il veut. S’il la confie à l’homme, c’est pour qu’il l’entretienne et la cultive à son profit. C’est là en quelque sorte la vocation de l’humanité. En contrepartie, l’homme acquiert le droit inaliénable de vivre dignement de son travail, lui, sa famille, son clan, son peuple.

C’est dans cette perspective théologique que la Bible situe le don d’une terre particulière au peuple qu’il s’est choisi entre tous pour être son peuple. L’alliance conclue par Dieu avec le peuple d’Israël implique essentiellement le don d’une terre qui devient sa patrie au sens plénier du mot et qu’il occupe de droit divin. Ce don crée en quelque sorte le peuple d’Israël.  Il est gratuit, il est irrévocable comme l’alliance qu’il concrétise.

Mais, et les textes bibliques le répètent souvent, Dieu reste le maître et seigneur de cette terre d’Israël. Il y réside d’ailleurs en personne dans le temple de Jérusalem. Il importe également de souligner que c’est à la collectivité comme telle que la terre est donnée. Tous les membres du peuple de l’alliance jouissent sur la terre d’Israël des mêmes droits, comme ils ont tous les mêmes devoirs, entre autres celui de la faire fructifier d’une manière ou d’une autre par leur travail. Cependant, tout comme Dieu s’est reposé le septième jour de la création, ils observeront le sabbat. Cette observance fondamentale concrétise la reconnaissance du droit absolu que Dieu garde sur la terre d’Israël.

Des problèmes socio-économiques

Il est évident que cette vision théologique de la situation de l’homme en terre d’Israël a été confrontée au cours des siècles à des problèmes d’ordre socio- économique de plus en plus complexes.
-         Problèmes liés à la sédentarisation progressive, à l’affirmation du droit de propriété privée, conséquence du développement de l’agriculture et de l’élevage. Problèmes liés à la permanence d’autochtones qui en principe ne jouissent d’aucun droit, et à certaines époques, à l’arrivée massive de populations déplacées par les puissances occupantes.
-         Problèmes liés aux régimes politiques qui vont se succéder et à une administration souvent pesante : réquisition de main d’œuvre et impôts qui servent à entretenir les fonctionnaires ou l’armée royale ou, encore, à édifier des constructions de prestige.
-          Problèmes liés à l’apparition de classes sociales nouvelles, conséquence de l’urbanisation et du développement des activités commerciales. Des corps de métier spécialisés apparaissent au détriment de l’artisanat privé traditionnel. Les grands domaines se développent, les petits fermiers s’appauvrissent.

Voici par exemple quelques traits d’une critique sévère du régime monarchique attribuée au prophète Samuel parlant au nom de Dieu : « Le roi va réquisitionner vos fils pour les affecter à l’entretien de ses écuries et de ses chars de guerre et à la fabrication de ses équipements militaires.  Il vous fera labourer et moissonner ses champs et il exigera la dîme de vos récoltes et de vos troupeaux.  Il prendra vos filles et en fera ses cuisinières.  Il prendra vos vignes et vos vergers pour les donner en cadeau à ses proches et il vous fera travailler pour eux…. » (voir 1 Samuel 8, 10-16). La critique porte sur le fait que le droit du roi ne respecte pas les droits fondamentaux du peuple, droits pourtant garantis par Dieu. Le roi réorganise à son profit personnel la vie de la collectivité. Il invente sa propre justice socio-économique.

Voici un autre exemple de plaintes adressées à l’inspecteur Néhémie envoyé en Judée par le roi perse au 5ème siècle et qui reflètent un profond malaise social : « Une grande plainte s’éleva parmi les petites gens contre leurs frères juifs.  Les uns disaient : nous devons donner en gage nos fils et nos filles ou nos propriétés pour recevoir du blé, manger et vivre en temps de famine.  Il en est même parmi nos filles qui deviennent esclaves et nous n’avons pas les moyens de les racheter.  D’autres disaient : nous avons dû emprunter de l’argent pour payer l’impôt du roi et les prêteurs exigent des intérêts trop élevés… »  (Voir Néhémie 5, 1-5). Le texte évoque la situation de paysans exploités et appauvris et les tensions entre une élite juive revenue d’exil et les descendants de ceux qui étaient restés sur place vivant dans la précarité. Il y a là une contradiction flagrante avec la solidarité économique impliquée dans l’alliance entre Dieu et son peuple et avec le droit de chacun de ses membres à une vie digne.

Un paupérisme chronique

On pourrait citer de nombreux textes du même genre. De fait, une conclusion s’impose à la lecture de ces documents dont la rédaction s’échelonne sur 5 ou 6 sièclesTout au long de son histoire, l’Israël biblique a été confronté à un problème socio-économique majeur, celui de l’existence d’un véritable prolétariat, rural aussi bien qu’urbain, dont les membres vivent en dessous de ce que nous appelons aujourd’hui le seuil de la pauvreté. On peut parler d’une sorte de paupérisme chronique.

L’hébreu dispose de plusieurs mots pour qualifier le pauvre ou le décrire : ras, celui qui manque du nécessaire ; dal, le maigre, le chétif ; ebyon, le miséreux obligé de mendier, ‘anaw- ‘anawim : l’homme abattu, écrasé, marginalisé.

Un courant de pensée, minoritaire il est vrai, a vu dans les inégalités socio-économiques la conséquence de la paresse, de l’imprévoyance et souvent aussi du péché, de l’infidélité à la loi de Dieu. On a dès lors tendance à considérer la pauvreté comme une punition infligée par Dieu lui-même. La richesse par contre, le succès dans les affaires, la santé florissante sont considérés comme la juste récompense d’une vie droite menée dans le respect des lois divines.

On retrouve encore les mêmes vues à l’époque du Christ. A propos d’un pauvre aveugle les disciples demandent à Jésus qui donc a péché pour qu’il soit aveugle et doive mendier, lui ou ses parents (voir Jean 9,2). Le problème de la rétribution divine espérée dès cette vie dans l’ignorance de ce que serait l’autre, a préoccupé le peuple d’Israël tout au long de son histoire.

La dénonciation des injustices

D’autre part, une réalité s’impose à l’évidence aux sages et aux prophètes. Les pauvres sont d’abord et avant tout les victimes de l’injustice des puissants, des grands propriétaires en particulier, les victimes des abus de pouvoir de la part des services administratifs et parfois de la classe sacerdotale, les victimes de la malhonnêteté des commerçants ou de prêteurs à gages rapaces, les victimes de la justice elle-même trop souvent corrompue, les victimes d’un esclavagisme qui ne disparaîtra jamais. 

Les textes dénoncent ces injustices de manière très réaliste. Des propriétaires terriens déplacent impunément les bornes des champs pour élargir leur domaine. Les ouvriers ne sont pas payés après leur journée de travail. Les balances des marchands sont faussées. Les prêteurs refusent de rendre les gages qu’ils ont exigés lors du prêt. Les prêtres qui sont aussi les juges se laissent corrompre pour une paire de sandales neuves. Les veuves sont exploitées. Les esclaves sont maltraités et battus. Les paysans sont obligés de vendre leurs filles pour amortir leurs dettes. Des critiques de ce genre se retrouvent souvent (voir Amos et les prophètes qui lui ont succédé : Isaïe, Michée, Jérémie, etc.). Rien d’étonnant dès lors que, dans pareil contexte socio-économique, les handicapés et les malades chroniques soient réduits à la mendicité.

On pourrait rappeler ici que de nombreuses paraboles de Jésus évoquent des situations d’injustice ou de pauvreté qui persistent jusqu’à son époque. Il parle d’une pauvre veuve à laquelle le juge refuse de faire droit (Luc 18,1-5), du malheureux qui mendie à la porte d’un riche dont il ne reçoit même pas les restes de repas (Luc 16,19-31), des ouvriers au chômage toute la journée (Matthieu 20, 1-16), du père de famille qui n’a plus rien à offrir à un visiteur imprévu (Luc 11, 5-8). Il dénonce l’indifférence de représentants de la classe sacerdotale envers la victime du banditisme de grand chemin (Luc 10, 30-35). Il évoque le gérant malhonnête d’une grosse entreprise commerciale (Luc 16, 1-8). Il compare le Royaume de Dieu à un festin auquel les pauvres sont invités : ils pourront pour une fois manger à leur faim (Matthieu 22,1-10). Il admire la pauvresse qui dépose dans le tronc du temple une petite pièce de monnaie : c’est tout ce qui lui restait pour vivre et elle l’a donné (Marc 12, 41-44).

On pourrait sans doute dire que « le » péché d’Israël, tout au long de son histoire, a été ce que Jean-Paul II dans son encyclique ‘Sollicitudo rei socialis’ (1988) appelle un péché social, un péché de société qui aboutit à déshumaniser l’homme, à l’aliéner.  Il cesse de s’appartenir, il devient une chose. Les prophètes diront que Dieu est personnellement atteint dans son être même de Dieu par l’injustice des hommes. C’est sa propre justice qui est bafouée. L’injustice des hommes l’agresse en quelque sorte, elle le blesse. Sa souveraineté sur Israël est de fait niée : « De quel droit écrasez-vous mon peuple, déclare-t-il, et comment osez-vous casser le visage des pauvres qui crient vers moi ?  » (Isaïe 3,14-15). L’injustice sociale rend inutiles et vains les sacrifices offerts dans le temple au nom du peuple. Gestes hypocrites, diront les prophètes qui ajoutent que les fêtes et les pratiques religieuses sont devenues de vraies mascarades dont Dieu se détourne.

La justice biblique

En réaction, des réformateurs courageux ont plus d’une fois cherché à éliminer les abus et à protéger les économiquement faibles. Ils ont élaboré et précisé au cours des siècles un droit socio-économique et ils ont cherché à le justifier en référence à Dieu lui-même et à l’alliance qu’il a conclue avec son peuple. En d’autres mots, ils ont cherché à déterminer au nom de Dieu ce qui est juste en le distinguant de ce qui ne l’est pas, de ce qui lèse les droits fondamentaux de la personne et de la cellule familiale. Cette justice qu’ils codifient vise à concrétiser l’autorité de Dieu sur son peuple, sa souveraineté. La notion biblique de justice socio-économique est une notion fondamentalement théologique. La référence ultime de cette justice restera toujours les premières paroles adressées par Dieu à Moïse : « J’ai entendu le cri de mon peuple asservi par Pharaon.  J’ai décidé de le libérer de l’oppression et de lui donner une terre où tous vivront dans la paix et l’abondance»  (voir Exode 3,7-8).

Il ne peut être question d’évoquer ici les nombreux problèmes d’ordre socio-économique que la législation biblique cherche à résoudre. Il suffira d’en évoquer quelques-uns à titre d’exemple. Parmi ceux qui semblent avoir pesé de tout temps sur le prolétariat juif, on peut citer celui de l’endettement, du surendettement dirions-nous aujourd’hui, qui tôt ou tard fait basculer les individus et les familles dans la misère. Les peuples voisins connaissaient la pratique du prêt, prêt de sommes d’argent, de céréales ou d’huile, produits de première nécessité. Il s’agit le plus souvent de prêts usuraires, les intérêts étant fixés à sa guise par le prêteur, jusqu’à 33% pour des céréales. 

En Israël, le prêt à intérêts sera interdit : « Si tu prêtes à l’un de tes frères, qu’il s’agisse d’un prêt d’argent ou de vivres, tu ne lui imposeras pas d’intérêts » (Lévitique 25, 36). Il faut bien reconnaître que c’était là une exigence qui ne sera pas toujours respectée, pas souvent peut-être même car, à diverses époques, cette loi sera réactivée et précisée au nom de la solidarité qui doit caractériser la vie du peuple de l’alliance (voir par exemple Exode 22, 13- 14 ; Lévitique 25, 35-38 ou Deutéronome 24, 10-22).

D’autre part, la loi était tempérée par la possibilité donnée au prêteur d’exiger des gages qui lui offraient une certaine garantie d’être remboursé. Mais dans ce domaine aussi, il a fallu remédier à des abus : « Si tu prends en gage le manteau de ton frère, tu le lui rendras à la tombée du soir. C’est tout ce qu’il a pour se couvrir, c’est le manteau dans lequel il s’enveloppe pour dormir » (Deutéronome 24, 12-13). Le principe mis en cause ici, comme dans d’autres normes, c’est qu’on ne peut pour aucun motif priver quelqu’un des biens dont il a vraiment besoin, ici d’une couverture pour la nuit. Ce serait le blesser dans sa dignité d’être humain reconnue par Dieu lui-même.

L’année sabbatique

Bien plus importante et plus originale est une pratique dont la codification s’est précisée au cours des siècles, celle de l’année sabbatique qui revient tous les 7 ans, en principe du moins (Voir Deutéronome 15, 1-18). Au début, elle impose le repos de la terre. Les champs sont laissés en jachère et les pauvres peuvent récolter ce qui aurait poussé spontanément. Même chose pour les vignes et les vergers qu’on laisse à la disposition des plus démunis. Dieu signifie par là qu’il reste maître de la terre et c’est à ce titre qu’il décide que tous les 7 ans ce qu’elle produit naturellement appartient aux nécessiteux.

Plus tard, l’année sabbatique cherchera à remédier au fléau social de l’esclavage. Les petits cultivateurs finissent toujours par s’endetter et sont finalement obligés de se vendre aux grands propriétaires terriens qui les font travailler gratuitement et s’enrichissent à leurs dépens. Ce type d’esclavage, même s’il n’était pas aussi pénible que dans les pays voisins, constituait cependant une plaie sociale. On cherche à y remédier par deux mesures. En principe, tous les 7 ans les dettes sont tout simplement annulées et les gages rendus à leur propriétaire : « Qu’il n’y ait plus de pauvres chez toi car c’est Dieu qui t’a donné la terre que vous habitez » (Deutéronome 15, 4).

De plus, et c’est le plus important, les esclaves retrouveront leur liberté : « Si ton frère s’est vendu à toi, la septième année tu le renverras libre.  Tu ne le laisseras pas partir les mains vides, tu lui donneras à titre de cadeau quelques produits de ton bétail et de tes champs, car c’est Dieu qui t’a béni et te les a donnés » (Deutéronome 15, 12-15). Il s’agit d’un pécule qui offre à l’esclave libéré, homme ou femme, de quoi recommencer sa vie dignement, en signe de solidarité avec lui et de reconnaissance envers Dieu qui assure la vie de tous les membres de son peuple. De fait, l’esclavage n’a jamais été aboli en Israël, mais il est réglementé. L’année sabbatique visait à remédier à l’appauvrissement des travailleurs ruraux trop souvent exploités par leurs compatriotes et à freiner la concentration progressive de la richesse au profit de quelques-uns.

L’année du jubilé

On retrouve la même visée fondamentale dans une institution qui n’a probablement jamais fonctionné vraiment mais qui concrétise un projet de société qui serait idéalement celui de Dieu lui-même. Il s’agit de l’année jubilaire célébrée en principe tous les 50 ans (7 fois 7 ans). Le thème fondamental de cette année est celui de la libération : « Vous proclamerez dans le pays la libération pour tous ses habitants » (voir Lévitique 25). Cette libération est d’abord morale. L’homme se libère de ses dettes envers Dieu, du poids du péché qui pèse sur sa vie. Célébrations et sacrifices renouvellent l’alliance fondatrice du peuple. 

L’année jubilaire est d’abord une année sainte, une année de conversion. Le peuple se réconcilie avec Dieu, il se renouvelle en quelque sorte en tant que peuple élu. Cette conversion doit se traduire dans la vie sociale. Les lois appliquées chaque année sabbatique sont renforcées, en particulier l’annulation des dettes. En outre, et c’est le plus extraordinaire, une véritable réforme agraire est mise en route : « Chacun de vous retrouvera son patrimoine, chacun de vous rentrera dans son clan » (Lévitique 25, 10). Les terres, les vignes, les vergers et plus largement tous les biens immobiliers qu’il a fallu vendre ou céder pour l’un ou l’autre motif seront restitués sans contrepartie à leur ancien propriétaire ou à sa famille. C’est le démantèlement des grandes propriétés terriennes et la révision radicale du cadastre urbain aussi bien que rural. Il s’agit en quelque sorte d’un impôt sur les grosses fortunes au profit immédiat des moins riches, en d’autres mots d’une redistribution de la richesse. Cette réforme agraire s’ajoutant aux exigences de l’année sabbatique entraîne de fait une réforme radicale d’ordre socio- économique. Au fond, il s’agit de remettre les comptes à zéro dans tous les domaines comme on a remis les comptes à zéro avec Dieu. 

Il est évident que dans ce qu’elle a de radical, cette réforme était utopique. Les textes qui en précisent les modalités révèlent d’ailleurs qu’on avait bien conscience des difficultés concrètes qu’elle entraînait et de l’opposition qu’elle allait susciter chez ceux qui en seraient les victimes. Mais elle concrétisait un idéal de justice distributive basé sur le droit inaliénable de chaque membre du peuple élu, le droit de posséder et de jouir en toute autonomie de tout ce dont il a besoin pour vivre. Et cela au nom de Dieu lui-même. Il s’agit de fait d’un projet de société qui élimine dans la mesure du possible toute discrimination socio-économique, c’est-à-dire tout abus de pouvoir de la part de quelques privilégiés, quelle que soit l’origine de ce pouvoir.

En d’autres mots, il s’agit d’un projet de justice économique qui refuse toute aliénation de l’homme c’est-à-dire toute situation due à des circonstances économiques extérieures et dans laquelle l’homme cesse de s’appartenir et d’être maître de son destin. Un projet de justice économique qui freine le développement de classes sociales qui risquent de devenir antagonistes et d’entrer en lutte. Ce projet est basé sur l’affirmation, accueillie dans un acte de foi, que Dieu, le maître du monde, refuse de manière absolue toute forme d’injustice ou de fracture socio- économique qui heurte de front son propre projet et instaure en quelque sorte un anti-projet social dont les pauvres au sens large du terme sont les premières victimes.  L’injustice des hommes est en dernière instance une négation de la justice de Dieu, et l’année jubilaire, année de conversion, empêche que cette injustice ne devienne un fait accompli et irréversible.

Jésus et l’annonce du Royaume de Dieu

Le message de Jésus élargira ces perspectives et leur donnera une dimension universelle en les libérant de leu cadre local et nécessairement limité. 

Matthieu nous rapporte une affirmation très nette de Jésus dans son discours programme du Royaume, le sermon sur la montagne : « N’allez pas croire que je suis venu abroger la loi ou les prophètes.  Je ne suis pas venu abroger mais accomplir » (Matthieu 5,17). Il s’agit là d’une affirmation de portée générale. Le projet de Dieu sur le monde s’est progressivement révélé dans l’histoire du peuple juif et dans ses institutions. Il s’accomplira de manière définitive dans le Royaume inauguré par Jésus.
Le discours-programme de Jésus tel que Luc le propose est plus explicite. S’adressant à ses compatriotes dans la synagogue de Nazareth, Jésus s’approprie un texte qui évoque le prophète des derniers temps : « L’Esprit du Seigneur est sur moi.  Il m’a envoyé annoncer une bonne nouvelle aux pauvres, proclamer la libération des opprimés, rendre la vue aux aveugles et inaugurer une année de grâce accordée par le Seigneur » (Luc 4,18).  Il s’agit là d’une allusion très claire à l’année jubilaire. Exprimée en termes bibliques, la mission de Jésus est d’inaugurer l’année jubilaire décisive de l’histoire du monde, année qui deviendra une réalité permanente dans le Royaume. Toutes les victimes de l’injustice, pauvres et opprimés, seront restituées dans leur dignité humaine. Et un signe est offert : les aveugles, les plus démunis des marginaux dans les sociétés anciennes, retrouveront une vie normale. Le rêve des réformateurs du peuple d’Israël se réalise enfin lors de l’inauguration par Jésus d’un Royaume de justice et de paix.

Et nous ? L’option préférentielle pour les pauvres

Depuis quelques années et dans la foulée de Vatican II, les chrétiens ont pour ainsi dire redécouvert le problème de la pauvreté dans le monde et les exigences d’une justice économique libérée de tous les compromis qui la faussent très souvent. Un thème qui a suscité de nombreuses réflexions, en particulier dans les instituts religieux, est celui de l’option préférentielle pour les pauvres. De nombreuses initiatives souvent courageuses ont été prises pour la concrétiser. Option préférentielle qui serait en quelque sorte l’écho de celle de Dieu lui-même qui est un Dieu d’amour. Gustavo Gutierrez, un des pères de la théologie de la libération, le dit clairement : « La raison ultime de cette option se trouve dans le Dieu auquel nous croyons.  Il s’agit bien d’une option théocentrique, enracinée en Dieu ». Cette façon de présenter les choses qui insiste sur la gratuité de l’amour de Dieu a cependant été remise en question ces derniers temps dans des milieux latino- américains d’abord, dans d’autres ensuite. Si Dieu est amour, dit-on, il aime de fait tous les hommes et se soucie de tous également. Personne ne peut s’estimer préféré ni l’objet d’une discrimination, qu’elle soit positive ou négative. Dieu n’a pas de favoris, même pas les pauvres. Parler autrement, c’est tomber dans une sorte d’anthropomorphisme comme quand la bible affirme que Dieu se met en colère et que du haut des cieux il rugit comme un lion contre les impies.

L’option pour la justice

Si l’on veut parler d’option en référence à Dieu, c’est dans le domaine de la justice qu’il faut l’affirmer. La volonté de Dieu s’identifie à la justice, de manière absolue. En termes bibliques, Dieu se situe définitivement du côté de la justice et contre l’injustice. Objectivement les deux alternatives justice et injustice s’excluent mutuellement par définition. Parler d’option préférentielle pour les pauvres, c’est s’obliger à déterminer qui sont les pauvres et à les distinguer de ceux qui ne le sont pas et qui ne seraient donc pas l’objet de l’option.

De fait ceux que la bible appelle les pauvres sont les victimes de l’injustice des hommes.  Et dans nos sociétés modernes, les économiquement faibles ne sont pas les seules victimes de l’injustice. Ceux et celles qui souffrent de discriminations raciales ou culturelles le sont également. On préfère dès lors parler aujourd’hui d’option pour la justice, option exclusive et radicale. Cette option exige une praxis politique, sociale et économique courageuse, un véritable combat. Elle constitue une dimension essentielle du christianisme parce qu’elle se réfère à l’être même de Dieu tel qu’il se révèle dans l’histoire du peuple élu et définitivement dans la personne de Jésus.

L’affirmation du synode des évêques de 1971 sur la justice dans le monde reste et restera toujours d’actualité : « Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Evangile qui est la mission de l’Eglise pour la rédemption de l’humanité et sa libération de toute situation oppressive ». Ce combat est un acte de foi en un Dieu qui veut la justice pour tous et pour toutes parce qu’il est un Dieu d’amour.

Last modified on Thursday, 05 February 2015 16:55
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