« L 'ESPRIT DES VOEUX »

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Maurice Zundel

Il n'y a qu'une manière d'être saint, c'est d'être.
La conscience est en nous une exigence d'être, la voix de l'être.
C'est notre seul devoir, comme c'est aussi notre seul droit, et au
fond notre seul désir : ETRE .



Mais si nous avons l'être, nous ne sommes pas l'ETRE.
Dieu est l'Etre, l'étoile polaire de la boussole dont
notre conscience est l'aiguille. Pour être pleinement, il faut donc
nous donner à Lui. C'est là le centre de notre vocation, la roche
vive d'où la source jaillit. Bien loin de céder à une chimère et de
lâcher la proie pour l'ombre, nous n'avons fait, en la suivant, que
nous conformer strictement aux exigences d'être, inscrites en notre
essence et nous nous sommes établis au coeur du réel : car toute
créature n'a d'autre vacation que d'exprimer Dieu; toute créature
n'a d'être que pour le donner, pour se donner à Dieu, et à tout l'univers.
Dieu nous a fait la grâce d'en devenir assez conscients
pour avoir le désir de le reconnaître explicitement et de le vivre
effectivement.

Non que Dieu ait le dessein de nous enlever l'être qu'Il
nous a donné . Tout au contraire, Dieu a créé les êtres pour qu'ils
fussent. Et Il leur a communiqué, autant que le comportait leur
nature, le privilège de Son Etre, qui est d'être pur don, extase
éternelle d'Amour et pur acte de Charité.

Dieu nous a donc appelés à l'exercice de ce privilège :
faire de notre être un don.

Nous donner à Dieu, c'est, d'un seul mot, transférer
notre moi en Lui, adopter Dieu à titre de moi. L'amour de charité,
aussi bien, tend de faut son poids vers Dieu comme centre, et nous
incline à être à l'égard de Dieu, en Son indivisible Trinité, ce que
chaque Personne divine est à l'égard de l'Autre :

&n bsp;            - 2 -

" Que tous soient un en Nous, comme Vous et Moi, nous
sommes un."
La sainteté, c'est cela : être une relation vivante à Dieu:
" Et maintenant, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit
en moi."
C'est pourquoi Jésus est le Saint par excellence :
" Tu Solus Sanctus ". Sa sainte Humanité ne connaît pas cette nécessité
de dépouiller et d'aliéner son moi. Elle est en état de don,
entièrement rapportée au Verbe en qui elle subsiste, afin qu'Il puisse
Lui-même s'exprimer personnellement en elle.
L'amour de charité qui est un amour filial, est aussi, " à
sa manière " un amour d'égalité, un amour de réciprocité. Dieu nous
aime d'un amour paternel, comme nous L'aimons d'un amour filial. Et
Il transfère Sa Vie en nous comme nous transférons notre vie en Lui.
"En ce jour là, vous connaîtrez que Je suis dans le Père,
et vous en Moi, et Moi en vous".
Dieu vit notre vie comme nous vivons la Sienne, suivant
la mesure de notre amour.
Mais quelle mesure offrir à l'Amour infini, sinon une
mesure qui soit sans mesure ? Il s'agit de dilater sans fin nos capacités d'aimer.
Les Conseils Evangéliques n'ont d'autre objet.
Les conseils sont les ailes de charité. Ils ne veulent qu'assouplir
tous les rouages de notre être à ce transfert d'amour, assujettir
tout notre domaine au bon plaisir de Dieu. Ce serait en fausser
complètement le sens que de les soumettre à une interprétation purement
négative. Ils tendent vers la Vie, comme tout ce qui procède de
l'Esprit vivificateur.

Saint Benoît a dit tout le mystère de la Pauvreté dans
cette petite phrase : " Traiter les outils du Monastère, comme des
vases sacrés."

Le monde visible est entre nos mains comme le pain
multiplié par la tendresse de Jésus. Il n'en faut laisser perdre aucune
parcelle. Rien n'est plus éloigné du véritable esprit chrétien, que
le mépris de la réalité matérielle, dont Dieu est l'auteur, aussi
bien que des hiérarchies angéliques. L'esprit de pauvreté n'est
qu'un immense amour et un infini respect. Justement parce que cette
réalité est divine dans sa source, elle doit demeurer telle dans son
usage, et nous offrir les matériaux pour construire en nous la Cité
de Dieu - et nous fournir les pierres de l'autel et l'huile de la
lampe. C'est à Dieu qu'il faut tout approprier en consacrant à
notre usage cela seulement qui est requis pour faire de nous les
instruments bien adaptés de Ses volontés (entendant d'ailleurs ce
"seulement" sans scrupule et sans raffinement, avec une souple adaptation
aux exigences des circonstances concrètes, et avec ce sens de la
magnanimité et de la magnificence qui convient aux enfants du Premier
des rois.)

- 3 -

" Traiter comme des vases sacrés " tous les biens temporels
à notre usage, c'est donc les regarder dans cette vision de foi et
d'amour qui nous révèle le caractère sacramentel des plus humbles réalités.

Avec quel respect et quelle reconnaissance, il faut nous
asseoir à cette table où nous sommes les hôtes de Dieu ! Avec quelle
sollicitude et quelle délicatesse il nous faut administrer le patrimoine
de notre Père céleste et de ses petits enfants, avec quelle générosité
et quelle simplicité il nous faut communiquer à nos frères des biens
qui sont à lui dans les autres - aussi bien qu'en nous !
La pauvreté n'est pas le mépris des biens temporels, mais
leur assomption et leur délivrance. Elle donne des ailes à la matière,
afin que toute réalité puisse chanter.

" All realities will sing, nothing else Will "
Toute réalité chantera : rien d'autre ne chantera.

La chasteté, n'est pas moins féconde. Non seulement Dieu nous
a donné l'être, il nous a de plus, communiqué le pouvoir de donner
l'être. Il nous a fait participer à Sa puissance créatrice et nous a
confié la dispensation de la vie. Il a remis entre nos mains le sort
d'une postérité innombrable qui pouvait naître de notre tendresse et Il
a fait de nos corps les sacrements de cette vertu divine.
Dieu qui est père et mère infiniment - parce que le Bien
infini qu'Il est, est infiniment avide de se répandre - Dieu nous a faits
pères et mères d'une multitude sans nombre. Il s'en faut donc infiniment
que notre voeu de chasteté ait le sens d'un refus et d'une négation. Il
veut, au contraire, nous permettre de réaliser explicitement ( autant
qu'un être humain en est capable ) toute l'infinité et toute l'universalité
de la paternité et de la maternité divines.
Aussi bien, tout ce qui ravit le coeur des mères dans leurs
petits enfants, c'est tout ce monde intérieur qui est le secret de leur
être, et cette éclosion indiciblement mystérieuse de la vie divine en eux.
C'est cette naissance de Dieu, dans cette âme nouvellement créée, qui
est la fin véritable de la génération.
Il arrive malheureusement trop sauvent qu'on perde de vue
cette ordination sacramentelle de la chair, et que les besoins corporels
du petit enfant fassent oublier la vocation divine de l'âme. C'est à nous
d'y penser, de suppléer à l'impuissance de tant de parents, et de recueillir
en nos âmes toutes les âmes d'enfants que personne ne fait naître à
l'Esprit, et de les offrir à leur Père, comme une hostie de louange, dans
un coeur tout plein de la tendresse de la Mère Eglise.

Mais ce n'est pas encore assez. Il faut que notre amour soit
rigoureusement catholique, qu'il embrasse tous les êtres et qu'il se
penche sur toutes les âmes. Les pères et les mères de famille accablés
par les soucis domestiques, contraints par les nécessités matérielles,
ont besoin de trouver des pères et des mères pour la vie de leur esprit
et pour la vie de leur coeur.
4

Ils ont besoin de déposer leur fardeau et d'en partager avec
nous l'accablement. Il faut qu'ils puissent compter toujours sur nos
prières, notre sympathie et notre charité - et qu'ils rencontrent en nous
" la douceur du visage de fête du Christ-Jésus. "
Les familles chrétiennes n'ont d'ailleurs pas leur fin en elles.
Elles sont ordonnées à l'unité catholique de l'Eglise. Il faut donc insérer
chacun de leurs membres dans cette famille universelle - les incorporer
au Corps Mystique de Jésus. C'est de cette famille universelle que
nous avons la charge, c'est le Christ mystique que nous avons à engendrer.
Comment ne pas évoquer ici la fécondité promise à Abraham :
" Compte, si tu le peux, les étoiles du ciel et les grains de sable de
la mer : ta postérité en dépassera le nombre. "
Ah ! comme il faut dilater nos coeur pour accueillir tous ces
enfants que la tendresse du Père veut sans cesse faire naître de notre
charité ! Comme nous devrions savoir aimer, et quelle passion divine
devrait dévorer les âmes consacrées, où tout être serait en droit de
sentir les battements du Coeur de Dieu 1
Etre père et mère à l'égard de tout être - comme Dieu
Lui-même - et offrir à chacun le refuge d'une tendresse capable de se donner
totalement à tous, parce qu'entièrement dépouillée de soi : c'est là
l'objet propre du voeu de chasteté.
" Le Juste, dit le Psalmiste fleurira comme le palmier,
étendra ses branches comme le cèdre du Liban. "
Mais, s'il faut aimer les choses à cause du reflet en elles
de la clarté de Dieu, s'il faut avoir la passion des âmes pour les faire
naître à la vie de Dieu, il reste qu'il faut aimer, avant toutes choses,
et avec un attachement unique, ce Dieu qui est la raison d'aimer tout
le reste.
L'Obéissance veille sur ce Saint des saints, qui est la
pureté d'intention et la virginité du coeur. Car c'est toujours dans
un coeur virginal que le Verbe établit Sa demeure, dans un coeur où
le moi ne s'est point ménagé de retraite et dont l'Esprit puisse s'approprier
tous les battements.

C'est pourquoi, plus qu'à toutes nos oeuvres et à toutes nos
conquêtes, Dieu tient à notre entière disponibilité. Car avant de nous
donner la création, Il veut d'abord Se donner Lui-même et répandre en
nous la plénitude de Sa Vie : avant d'en faire déborder la surabondance
sur autrui.

L'Obéissance assure la liberté des divines entrées. L'autorité
est le sacrement de notre pureté d'intention et l'instrument de notre
véritable liberté. Rien ne nous oblige à coup sûr à penser que l'autorité
prenne toujours, infailliblement, les décisions les plus sages
(bien qu'il y ait quelque présomption à penser qu'elle se trompe plus
souvent que nous ) ; mais l'obéissance n'a nullement pour but de nous
faire accomplir les actes extérieurs les plus parfaits, mais bien de


- 5 -

nous garder tellement dans la main de Dieu, qu'Il puisse s'exprimer en
nous au-delà de tout ce que nous sommes capables de comprendre et de
faire.
Nous cesserons ainsi d'être les esclaves de nos actes et de
nos oeuvres, tout en les accomplissant mieux " à cause de la Majesté de
Jésus-Christ qui les fait en nous et qui vit notre vie."
Nous prêtant à tout sans nous enfermer en rien, dépassant la
fidélité des mains par l'adhésion du coeur à l'unique nécessaire, nous
pourrons garder cette vision sacramentelle des choses qui fait scintiller
tout le divin dans une goutte de rosée, et enchaîner toutes les
actions que le devoir nous prescrit, comme les phases continues de la
grande Liturgie, où, dans "l'harnonie de nos pensées et la symphonie de
nos coeurs", Jésus- Christ est chanté : avec le Saint-Esprit, dans la
gloire du Père.
Il n'y a sans doute, qu'une seule manière d'être saint, c'est
d'être. Mais être, pour nous, c'est laisser Dieu être en nous tout ce
qu'il est, et s'approprier tellement notre être qu'Il puisse dire "Moi"
dans notre vie:
" Ceci est Mon Corps. Ceci est Mon Sang."
C'est ce qu'exprime admirablement ce fragment de dialogue
entre Jésus et Jean de Quintanadoine. l'introducteur des Carmels de la
Réforme de Sainte Thérèse en France (+ 1634) :
- O Seigneur, quelle perte de ne pas vous servir !
O quelle perte ! Que je vous serve, à mon Dieu !

- Qui donc t'empêche de me servir ?
- Je suis mon empêchement à moi-même ... O Seigneur,
il y a longtemps que je vous ai offert mon corps, mon âme ...
puisque ceci vous appartient, prenez-le ...

- Jean, puisque c'est à moi et que tu me l'as donné, je
le prends et le reçois comme ma chose.
Maintenant, je vais te le confier de nouveau, non comme
ta chose, mais comme la mienne.

- O Seigneur, donnez-moi votre grâce, et je vivrai, non
comme ma chose, mais comme la vôtre, et pour vous... (I)

Voici donc notre vie remise entre nos mains, comme le dépôt
du Christ. Comment la vivre au niveau de Son Coeur, sinon en la vivant
en Lui ? Que notre regard ne se lasse point d'interroger l'Hôte bien-aimé
de l'âme, pour qu'II nous montre Sa volonté et qu'II I'accomplisse
en nous.

Ainsi la règle et la mesure de notre action en sera aussi la
source et la fin, et tout tiendra dans ce nom : Jésus.


(1) BREMOND, Histoire du sentiment religieux en France. tome II - p.279
&n bsp;            - 6 -

Mais Jésus est inséparable de l'Eglise. Le Mystère de Jésus
s'épanouit dans le Mystère de l'Eglise, comme le soleil multiplie ses
feux dans le vitrail.

Vivre pour Jésus, c'est vivre en l'Eglise. Nous sommes
d'Eglise, et toutes nos facultés sont dédiées au service de Dieu comme
les vases de l'autel.

Notre activité tout entière est une Liturgie, et nos actions
les plus humbles sont magnifiées par le retentissement universel que
leur confère la mission nécessairement catholique (universelle) dont
l'Eglise nous a investis.

Rien ne doit nous paraître petit dans une vie appelée à un
tel rayonnement, et aucune inquiétude vraiment fondée n'en peut troubler
la paix. Il ne saurait y avoir d'échec - à moins que nous n'abandonnions
nous-mêmes la partie - là où l'amour est toute la condition du succès.

Il n'y a qu'une manière d'être saint, c'est d'être.
La conscience est en nous une exigence d'être, la voix de l'être.
C'est notre seul devoir, comme c'est aussi notre seul droit, et au
fond notre seul désir : ETRE .

Mais si nous avons l'être, nous ne sommes pas l'ETRE.
Dieu est l'Etre, l'étoile polaire de la boussole dont
notre conscience est l'aiguille. Pour être pleinement, il faut donc
nous donner à Lui. C'est là le centre de notre vocation, la roche
vive d'où la source jaillit. Bien loin de céder à une chimère et de
lâcher la proie pour l'ombre, nous n'avons fait, en la suivant, que
nous conformer strictement aux exigences d'être, inscrites en notre
essence et nous nous sommes établis au coeur du réel : car toute
créature n'a d'autre vacation que d'exprimer Dieu; toute créature
n'a d'être que pour le donner, pour se donner à Dieu, et à tout l'univers.
Dieu nous a fait la grâce d'en devenir assez conscients
pour avoir le désir de le reconnaître explicitement et de le vivre
effectivement.

Non que Dieu ait le dessein de nous enlever l'être qu'Il
nous a donné . Tout au contraire, Dieu a créé les êtres pour qu'ils
fussent. Et Il leur a communiqué, autant que le comportait leur
nature, le privilège de Son Etre, qui est d'être pur don, extase
éternelle d'Amour et pur acte de Charité.

Dieu nous a donc appelés à l'exercice de ce privilège :
faire de notre être un don.

Nous donner à Dieu, c'est, d'un seul mot, transférer
notre moi en Lui, adopter Dieu à titre de moi. L'amour de charité,
aussi bien, tend de faut son poids vers Dieu comme centre, et nous
incline à être à l'égard de Dieu, en Son indivisible Trinité, ce que
chaque Personne divine est à l'égard de l'Autre :

&n bsp;            - 2 -

" Que tous soient un en Nous, comme Vous et Moi, nous
sommes un."
La sainteté, c'est cela : être une relation vivante à Dieu:
" Et maintenant, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit
en moi."
C'est pourquoi Jésus est le Saint par excellence :
" Tu Solus Sanctus ". Sa sainte Humanité ne connaît pas cette nécessité
de dépouiller et d'aliéner son moi. Elle est en état de don,
entièrement rapportée au Verbe en qui elle subsiste, afin qu'Il puisse
Lui-même s'exprimer personnellement en elle.
L'amour de charité qui est un amour filial, est aussi, " à
sa manière " un amour d'égalité, un amour de réciprocité. Dieu nous
aime d'un amour paternel, comme nous L'aimons d'un amour filial. Et
Il transfère Sa Vie en nous comme nous transférons notre vie en Lui.
"En ce jour là, vous connaîtrez que Je suis dans le Père,
et vous en Moi, et Moi en vous".
Dieu vit notre vie comme nous vivons la Sienne, suivant
la mesure de notre amour.
Mais quelle mesure offrir à l'Amour infini, sinon une
mesure qui soit sans mesure ? Il s'agit de dilater sans fin nos capacités d'aimer.
Les Conseils Evangéliques n'ont d'autre objet.
Les conseils sont les ailes de charité. Ils ne veulent qu'assouplir
tous les rouages de notre être à ce transfert d'amour, assujettir
tout notre domaine au bon plaisir de Dieu. Ce serait en fausser
complètement le sens que de les soumettre à une interprétation purement
négative. Ils tendent vers la Vie, comme tout ce qui procède de
l'Esprit vivificateur.

Saint Benoît a dit tout le mystère de la Pauvreté dans
cette petite phrase : " Traiter les outils du Monastère, comme des
vases sacrés."

Le monde visible est entre nos mains comme le pain
multiplié par la tendresse de Jésus. Il n'en faut laisser perdre aucune
parcelle. Rien n'est plus éloigné du véritable esprit chrétien, que
le mépris de la réalité matérielle, dont Dieu est l'auteur, aussi
bien que des hiérarchies angéliques. L'esprit de pauvreté n'est
qu'un immense amour et un infini respect. Justement parce que cette
réalité est divine dans sa source, elle doit demeurer telle dans son
usage, et nous offrir les matériaux pour construire en nous la Cité
de Dieu - et nous fournir les pierres de l'autel et l'huile de la
lampe. C'est à Dieu qu'il faut tout approprier en consacrant à
notre usage cela seulement qui est requis pour faire de nous les
instruments bien adaptés de Ses volontés (entendant d'ailleurs ce
"seulement" sans scrupule et sans raffinement, avec une souple adaptation
aux exigences des circonstances concrètes, et avec ce sens de la
magnanimité et de la magnificence qui convient aux enfants du Premier
des rois.)

- 3 -

" Traiter comme des vases sacrés " tous les biens temporels
à notre usage, c'est donc les regarder dans cette vision de foi et
d'amour qui nous révèle le caractère sacramentel des plus humbles réalités.

Avec quel respect et quelle reconnaissance, il faut nous
asseoir à cette table où nous sommes les hôtes de Dieu ! Avec quelle
sollicitude et quelle délicatesse il nous faut administrer le patrimoine
de notre Père céleste et de ses petits enfants, avec quelle générosité
et quelle simplicité il nous faut communiquer à nos frères des biens
qui sont à lui dans les autres - aussi bien qu'en nous !
La pauvreté n'est pas le mépris des biens temporels, mais
leur assomption et leur délivrance. Elle donne des ailes à la matière,
afin que toute réalité puisse chanter.

" All realities will sing, nothing else Will "
Toute réalité chantera : rien d'autre ne chantera.

La chasteté, n'est pas moins féconde. Non seulement Dieu nous
a donné l'être, il nous a de plus, communiqué le pouvoir de donner
l'être. Il nous a fait participer à Sa puissance créatrice et nous a
confié la dispensation de la vie. Il a remis entre nos mains le sort
d'une postérité innombrable qui pouvait naître de notre tendresse et Il
a fait de nos corps les sacrements de cette vertu divine.
Dieu qui est père et mère infiniment - parce que le Bien
infini qu'Il est, est infiniment avide de se répandre - Dieu nous a faits
pères et mères d'une multitude sans nombre. Il s'en faut donc infiniment
que notre voeu de chasteté ait le sens d'un refus et d'une négation. Il
veut, au contraire, nous permettre de réaliser explicitement ( autant
qu'un être humain en est capable ) toute l'infinité et toute l'universalité
de la paternité et de la maternité divines.
Aussi bien, tout ce qui ravit le coeur des mères dans leurs
petits enfants, c'est tout ce monde intérieur qui est le secret de leur
être, et cette éclosion indiciblement mystérieuse de la vie divine en eux.
C'est cette naissance de Dieu, dans cette âme nouvellement créée, qui
est la fin véritable de la génération.
Il arrive malheureusement trop sauvent qu'on perde de vue
cette ordination sacramentelle de la chair, et que les besoins corporels
du petit enfant fassent oublier la vocation divine de l'âme. C'est à nous
d'y penser, de suppléer à l'impuissance de tant de parents, et de recueillir
en nos âmes toutes les âmes d'enfants que personne ne fait naître à
l'Esprit, et de les offrir à leur Père, comme une hostie de louange, dans
un coeur tout plein de la tendresse de la Mère Eglise.

Mais ce n'est pas encore assez. Il faut que notre amour soit
rigoureusement catholique, qu'il embrasse tous les êtres et qu'il se
penche sur toutes les âmes. Les pères et les mères de famille accablés
par les soucis domestiques, contraints par les nécessités matérielles,
ont besoin de trouver des pères et des mères pour la vie de leur esprit
et pour la vie de leur coeur.
4

Ils ont besoin de déposer leur fardeau et d'en partager avec
nous l'accablement. Il faut qu'ils puissent compter toujours sur nos
prières, notre sympathie et notre charité - et qu'ils rencontrent en nous
" la douceur du visage de fête du Christ-Jésus. "
Les familles chrétiennes n'ont d'ailleurs pas leur fin en elles.
Elles sont ordonnées à l'unité catholique de l'Eglise. Il faut donc insérer
chacun de leurs membres dans cette famille universelle - les incorporer
au Corps Mystique de Jésus. C'est de cette famille universelle que
nous avons la charge, c'est le Christ mystique que nous avons à engendrer.
Comment ne pas évoquer ici la fécondité promise à Abraham :
" Compte, si tu le peux, les étoiles du ciel et les grains de sable de
la mer : ta postérité en dépassera le nombre. "
Ah ! comme il faut dilater nos coeur pour accueillir tous ces
enfants que la tendresse du Père veut sans cesse faire naître de notre
charité ! Comme nous devrions savoir aimer, et quelle passion divine
devrait dévorer les âmes consacrées, où tout être serait en droit de
sentir les battements du Coeur de Dieu 1
Etre père et mère à l'égard de tout être - comme Dieu
Lui-même - et offrir à chacun le refuge d'une tendresse capable de se donner
totalement à tous, parce qu'entièrement dépouillée de soi : c'est là
l'objet propre du voeu de chasteté.
" Le Juste, dit le Psalmiste fleurira comme le palmier,
étendra ses branches comme le cèdre du Liban. "
Mais, s'il faut aimer les choses à cause du reflet en elles
de la clarté de Dieu, s'il faut avoir la passion des âmes pour les faire
naître à la vie de Dieu, il reste qu'il faut aimer, avant toutes choses,
et avec un attachement unique, ce Dieu qui est la raison d'aimer tout
le reste.
L'Obéissance veille sur ce Saint des saints, qui est la
pureté d'intention et la virginité du coeur. Car c'est toujours dans
un coeur virginal que le Verbe établit Sa demeure, dans un coeur où
le moi ne s'est point ménagé de retraite et dont l'Esprit puisse s'approprier
tous les battements.

C'est pourquoi, plus qu'à toutes nos oeuvres et à toutes nos
conquêtes, Dieu tient à notre entière disponibilité. Car avant de nous
donner la création, Il veut d'abord Se donner Lui-même et répandre en
nous la plénitude de Sa Vie : avant d'en faire déborder la surabondance
sur autrui.

L'Obéissance assure la liberté des divines entrées. L'autorité
est le sacrement de notre pureté d'intention et l'instrument de notre
véritable liberté. Rien ne nous oblige à coup sûr à penser que l'autorité
prenne toujours, infailliblement, les décisions les plus sages
(bien qu'il y ait quelque présomption à penser qu'elle se trompe plus
souvent que nous ) ; mais l'obéissance n'a nullement pour but de nous
faire accomplir les actes extérieurs les plus parfaits, mais bien de


- 5 -

nous garder tellement dans la main de Dieu, qu'Il puisse s'exprimer en
nous au-delà de tout ce que nous sommes capables de comprendre et de
faire.
Nous cesserons ainsi d'être les esclaves de nos actes et de
nos oeuvres, tout en les accomplissant mieux " à cause de la Majesté de
Jésus-Christ qui les fait en nous et qui vit notre vie."
Nous prêtant à tout sans nous enfermer en rien, dépassant la
fidélité des mains par l'adhésion du coeur à l'unique nécessaire, nous
pourrons garder cette vision sacramentelle des choses qui fait scintiller
tout le divin dans une goutte de rosée, et enchaîner toutes les
actions que le devoir nous prescrit, comme les phases continues de la
grande Liturgie, où, dans "l'harnonie de nos pensées et la symphonie de
nos coeurs", Jésus- Christ est chanté : avec le Saint-Esprit, dans la
gloire du Père.
Il n'y a sans doute, qu'une seule manière d'être saint, c'est
d'être. Mais être, pour nous, c'est laisser Dieu être en nous tout ce
qu'il est, et s'approprier tellement notre être qu'Il puisse dire "Moi"
dans notre vie:
" Ceci est Mon Corps. Ceci est Mon Sang."
C'est ce qu'exprime admirablement ce fragment de dialogue
entre Jésus et Jean de Quintanadoine. l'introducteur des Carmels de la
Réforme de Sainte Thérèse en France (+ 1634) :
- O Seigneur, quelle perte de ne pas vous servir !
O quelle perte ! Que je vous serve, à mon Dieu !

- Qui donc t'empêche de me servir ?
- Je suis mon empêchement à moi-même ... O Seigneur,
il y a longtemps que je vous ai offert mon corps, mon âme ...
puisque ceci vous appartient, prenez-le ...

- Jean, puisque c'est à moi et que tu me l'as donné, je
le prends et le reçois comme ma chose.
Maintenant, je vais te le confier de nouveau, non comme
ta chose, mais comme la mienne.

- O Seigneur, donnez-moi votre grâce, et je vivrai, non
comme ma chose, mais comme la vôtre, et pour vous... (I)

Voici donc notre vie remise entre nos mains, comme le dépôt
du Christ. Comment la vivre au niveau de Son Coeur, sinon en la vivant
en Lui ? Que notre regard ne se lasse point d'interroger l'Hôte bien-aimé
de l'âme, pour qu'II nous montre Sa volonté et qu'II I'accomplisse
en nous.

Ainsi la règle et la mesure de notre action en sera aussi la
source et la fin, et tout tiendra dans ce nom : Jésus.


(1) BREMOND, Histoire du sentiment religieux en France. tome II - p.279
&n bsp;            - 6 -

Mais Jésus est inséparable de l'Eglise. Le Mystère de Jésus
s'épanouit dans le Mystère de l'Eglise, comme le soleil multiplie ses
feux dans le vitrail.

Vivre pour Jésus, c'est vivre en l'Eglise. Nous sommes
d'Eglise, et toutes nos facultés sont dédiées au service de Dieu comme
les vases de l'autel.

Notre activité tout entière est une Liturgie, et nos actions
les plus humbles sont magnifiées par le retentissement universel que
leur confère la mission nécessairement catholique (universelle) dont
l'Eglise nous a investis.

Rien ne doit nous paraître petit dans une vie appelée à un
tel rayonnement, et aucune inquiétude vraiment fondée n'en peut troubler
la paix. Il ne saurait y avoir d'échec - à moins que nous n'abandonnions
nous-mêmes la partie - là où l'amour est toute la condition du succès.

Mais sommes-nous fidèles à l'Amour ?

Quand le Prince des Apôtres a trahi ses serments, pouvons-nous
nous flatter de tenir les nôtres ?

La Miséricorde qui a fait de lui la Pierre inébranlable sur
laquelle l'Eglise est édifiée, peut aussi prévenir les conséquences de
notre faiblesse. C'est quand il s'était confié en sa propre force que
l'Apôtre avait succombé aux moqueries d'une esclave. Appuyé sur son
Seigneur, il était capable d'affronter un Empire. Et nous vivons encore
de son triomphe.
" Quand tu étais jeune, tu ajustais ta tunique à ton gré
et tu allais où tu voulais. Quand tu seras vieux, tu étendras les bras
et un autre te ceindra et te conduira là où tu ne songeais pas."

Il s'agit beaucoup moins de faire, que de nous laisser faire,
en nous livrant à l'étreinte créatrice de la Puissance qui " contraint
miséricordieusement nos volontés même rebelles."- " Recevez-moi Seigneur
selon votre promesse, et je vivrai. "
Saul a connu ce moment bienheureux où l'âme, foudroyée par
la miséricorde et captive de l'Amour, n'a plus d'autre ressource que
l'abandon : " Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?"

C'est donc dans cet esprit qu'il faut renouveler nos voeux,
pour nous alléger du poids de nous-même, et nous perdre dans les abîmes
de l'Etre et de l'Amour.

Alors, nous comprendrons que les Conseils sont les ailes de
la Charité - et que nous n'avons pas reçu un esprit de servitude pour
la crainte, mais l'Esprit d'adoption des fils, en lequel nous crions :
Abba, Pater ! Notre Père !
!
Last modified on Thursday, 05 February 2015 16:56
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16-07-2024 Notizie

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Una regione del Paese africano alla mercé della guerriglia islamista C’era ottimismo a Maputo, la capitale mozambicana. La guerriglia a Cabo...

Giustizia Riparativa e la “pedagogia allamana”

15-07-2024 Missione Oggi

Giustizia Riparativa e la “pedagogia allamana”

La Corte di Giustizia dello Stato del Paraná (Brasile) ha tenuto dal 3 al 5 luglio l'incontro sulla Giustizia Riparativa...

Perù: prima assemblea dei popoli nativi

14-07-2024 Missione Oggi

Perù: prima assemblea dei popoli nativi

I rappresentanti dei popoli nativi dell'Amazzonia peruviana, insieme ai missionari, si sono riuniti nella Prima Assemblea dei Popoli Nativi, che...

Padre James Lengarin festeggia 25 anni di sacerdozio

13-07-2024 Notizie

Padre James Lengarin festeggia 25 anni di sacerdozio

La comunità di Casa Generalizia a Roma festeggerà, il 18 luglio 2024, il 25° anniversario di ordinazione sacerdotale di padre...

Nei panni di Padre Giuseppe Allamano

13-07-2024 Allamano sarà Santo

Nei panni di Padre Giuseppe Allamano

L'11 maggio 1925 padre Giuseppe Allamano scrisse una lettera ai suoi missionari che erano sparsi in diverse missioni. A quel...

Un pellegrinaggio nel cuore del Beato Giuseppe Allamano

11-07-2024 Allamano sarà Santo

Un pellegrinaggio nel cuore del Beato Giuseppe Allamano

In una edizione speciale interamente dedicata alla figura di Giuseppe Allamano, la rivista “Dimensión Misionera” curata della Regione Colombia, esplora...

XV Domenica del TO / B - “Gesù chiamò a sé i Dodici e prese a mandarli a due a due"

10-07-2024 Domenica Missionaria

XV Domenica del TO / B - “Gesù chiamò a sé i Dodici e prese a mandarli a due a due"

Am 7, 12-15; Sal 84; Ef 1, 3-14; Mc 6, 7-13 La prima Lettura e il Vangelo sottolineano che la chiamata...

"Camminatori di consolazione e di speranza"

10-07-2024 I missionari dicono

"Camminatori di consolazione e di speranza"

I missionari della Consolata che operano in Venezuela si sono radunati per la loro IX Conferenza con il motto "Camminatori...

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